Luc Dellisse - Christian Gatard
L’île. Les textes de ce numéro spécial, dans leur diversité, dans leur originalité, en revisitent les mythes et les récits. L’île a incarné l’utopie, le lieu idéal pour une cité parfaite. Mais, elle a aussi été l’espace du bannissement, de la marginalité imposée. De l’île aux Pommes à l’île du Diable, de l’Éden fantasmé à l’enfer des bagnes, l’île se décline en valeurs opposées, révélant nos aspirations les plus profondes et nos peurs les plus sombres. Elle est un lieu de passage, mais également de rétention, un miroir de soi et de la société.
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Hervé Fischer
Quand les mots et les images s’hybrident.
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Frédéric Saenen
Avec Une larme, des îles, j’ai voulu offrir sur le sujet une réflexion discursive sur le thème, au fil de ma mémoire d’« enfant de la télé » et de ma sensibilité d’incorrigible curieux, toujours en quête de décentrement de son regard sur les objets qui sont portés à son attention.
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Thomas Michaud
Le roman de Jules Verne L’île à hélice décrit un artefact technique gigantesque, une île artificielle propulsée par la force électrique, abritant uniquement des personnes fortunées produites par le capitalisme américain. L’article s’intéresse à l’imaginaire de l’île flottante dans les mythologies du monde, qui a pu inspirer le récit vernien. Par ailleurs, il développe le concept de mythe techno-gestationnel, c’est-à-dire un imaginaire préparant l’avènement d’une nouvelle technologie en inspirant les esprits, parfois sur plusieurs générations, jusqu’à sa matérialisation sous la forme d’une innovation. En effet, s’il n’existe pas encore d’îles à hélice, des architectes comme Callebaut dessinent des prototypes et des design fictions qui pourraient inspirer dans un avenir plus ou moins proche des entrepreneurs, des investisseurs et ingénieurs cherchant à développer une telle île artificielle. Cette solution pourrait permettre de résoudre des problèmes de surpopulation et des réfugiés climatiques, privés de territoires en raison de la montée des eaux.
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Nathalie Viet
Ce texte propose une traversée poétique et réflexive de la figure de l’île, oscillant entre fantasme de refuge, laboratoire d’utopie et métaphore de l’altérité. Du mythe à l’anthropocène, du souvenir intime à l’imaginaire collectif, il explore les îles réelles et mentales comme seuils d’épreuves, territoires d’errance ou de recommencement. L’IA y fait irruption en tant qu’alter ego numérique, complice d’une quête intérieure dans un monde dématérialisé. L’île devient alors une figure du passage : de l’enfermement à l’action, du rêve à la réinvention de soi et du collectif.
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Christian Gatard
Être une île relève d’une identité complexe et paradoxale, oscillant entre immobilité apparente et mouvements subtils causés par les forces naturelles et humaines. L’île n’est jamais totalement isolée, car elle est reliée au reste du monde par les courants marins, les oiseaux migrateurs et les récits qu’elle génère. Fragiles, les îles peuvent disparaître ou renaître, suscitant un imaginaire mythologique intense représenté par deux symboles : l’Arche de Noé, évoquant survie, espoir et transcendance, et le Radeau de la Méduse, symbole de chaos, de désespoir et d’effondrement social. Ces récits opposés traversent les âges et les cultures, réinventant constamment leur portée symbolique et narrative. Ainsi, l’île devient un espace de tension entre marginalisation et résistance, survie individuelle et collective. Finalement, les îles incarnent notre propre destin, tiraillé entre solidarité organisée et chaos tragique.
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Margaux D’Hont
Les îles spatiales sont des projets de colonisation extraterrestre sous forme d’infrastructures orbitales ou d’habitats exoplanétaires. Élaborée aux fils des travaux d’ingénieurs et de scientifiques passionnés, cette fiction intersubjective s’est progressivement imposée comme un horizon inéluctable pour l’humanité, liée à l’idée d’une destinée extraterrestre libérée des contraintes terrestres. Ces représentations collectives se structurent aujourd’hui à travers des visions néolibérales et technosolutionnistes d’expansion spatiale, censées répondre à la polycrise écologique de l’Anthropocène. Pourtant, les projets d’îles spatiales contemporaines interrogent quant aux fondements éthiques, ontologiques et axiologiques qu’elles promeuvent. Cet article étudie l’évolution de cette fiction insulaire spatiale à travers les travaux d’ingénieurs et de scientifiques influents du secteur spatial, de 1900 à 2025. Il examine comment ces acteurs ont utilisé la « non-fiction » comme un vecteur communicationnel de leur vision des îles spatiales à matérialiser. En explorant cette métaphore selon différents contextes historiques, politiques, économiques et écologiques, l’article questionne finalement les aspects éthiques et ontologiques de ces fictions, tout en prospectant des destinées alternatives pour la métaphore insulaire spatiale.
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Luc Dellisse
Suite à une menace d’épidémie qui se répand dans le monde et ressemble à un péril mortel, sans qu’on soit sûr de son degré de gravité, un homme décide de s’isoler complétement durant six mois, et de profiter de cette rupture avec la vie ordinaire pour effectuer une plongée en lui-même et en ramener ses trésors enfouis. Il aménage un minuscule logement comme un sous-marin de poche, pourvu de toutes les ressources nécessaires pour un long voyage, et s’enfonce dans une solitude heureuse, entre rêve et réalité. Ni fiction, ni journal de bord, ce texte est une sorte de fable sur le thème du Nautilus…
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Jean-Jacques Vincensini
Qu’est-ce qu’une île ? Antérieurement à l’énonciation dans un discours, une île est une terre émergée de manière durable dans une étendue d’eau. L’île, ici, est au singulier. Mais quand ce terme passe dans le hic et nunc des textes, il peut suivre bien des parcours possibles et s’enrichir ainsi de valeurs diverses. L’île singulière se métamorphose alors en une multiplicité d’entités, qu’elles soient réelles (les îles-prisons existent bel et bien) ou imaginaires (la Nova Insula Utopia ; les îles stériles où s’échouent lamentablement les naufragés). Ces lignes reliront dans cette perspective plurielle le roman Mélusine, achevé en 1393 par un certain Jean d’Arras, et dont l’héroïne est la tragique fée Mélusine, ancêtre de la famille de Lusignan. Deux îles jouent un rôle essentiel dans ce récit : Avalon, l’île de la fée Morgane, tante de l’héroïne, et la cuve du château de Lusignan dans laquelle Mélusine se baigne tous les samedis. Que reste-t-il dans l’île d’Avalon de Mélusine des caractères stéréotypés de l’île merveilleuse de l’autre monde celtique, de l’île Éden qui échappe à la fuite du temps et protège de la mort ? Quelles « valeurs » cette île « à l’endroit » – puisque terre émergée dans une étendue d’eau – naissent de sa relation avec la cuve circulaire, île « à l’envers » – puisque étendue d’eau incluse dans de la terre ? Que racontent ces deux îles interdites aux hommes (masculins) mortels, ces deux îles qui échappent au temps humain, ces deux îles où vivent, en famille ou seules, des femmes étranges, entièrement ou partiellement extérieures aux lois de l’humanité ? On répondra en s’inspirant des travaux que Claude Lévi-Strauss a consacrés à cette activité de connaissance que l’on nomme pensée « sauvage » ou « mythique ». Conformément au fonctionnement propre à ce mode de spéculation, on verra comment, dans le récit de Jean d’Arras, les deux étendues insulaires assument à la fois leur statut de realia (sur le flanc empirique ou imaginaire) et celui de « symboles » (sur le versant de la construction élaborée par la narration qui leur accorde des significations symboliques profondes).
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Olivier Parent
Cet article propose une analogie approfondie entre l’histoire de l’exploration maritime terrestre et les dynamiques contemporaines et futures de l’exploration spatiale. En mobilisant la figure de l’île – lieu d’isolement, d’implantation et de projection – l’auteur explore les résonances entre la navigation océanique (des Austronésiens aux explorateurs européens) et les ambitions actuelles de l’humanité dans l’espace. Le texte examine les avancées technologiques majeures, de l’astrolabe aux moteurs nucléaires, qui redéfinissent les horizons et façonnent les routes interplanétaires. Au-delà de l’aspect technique, l’auteur interroge les enjeux politiques, juridiques et éthiques de l’expansion spatiale, notamment à travers l’hypothèse d’une indépendance martienne, en écho aux processus historiques de décolonisation. En revisitant les imaginaires de conquête et les tensions entre unité et fragmentation, l’article invite à penser l’archipel comme figure structurante de l’avenir humain, soulignant les défis posés par l’éparpillement géopolitique et les enjeux de gouvernance à l’échelle du Système solaire.
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Nitouche Anthoussi
L’île évoque de multiples symboles : refuge, prison, paradis ou enfer, représentant la marginalité, l’exil et le désir d’ailleurs. Son étymologie grecque associe l’île (nêsos) au navire (naus), suggérant une terre flottante, entre immobilité et mobilité. Elle symbolise l’ambiguïté entre inclusion et exclusion, refuge ou réclusion. Au Moyen Âge, avec la « Nef des Fous », elle représente l’exclusion des marginaux, fous ou déviants, envoyés à la dérive. Ellis Island aux États-Unis et Leros en Grèce illustrent l’île comme espace de tri, de contrôle et d’exclusion sociale. Ces lieux, oscillant entre accueil et rejet, deviennent des zones d’attente perpétuelle, où l’identité se dilue. Ils révèlent une géopolitique de l’exclusion, illustrant comment la société marginalise ceux qu’elle ne peut intégrer. L’île devient ainsi une condition plutôt qu’un simple lieu géographique. Cela interroge notre capacité contemporaine à imaginer l’île autrement qu’un lieu carcéral ou de relégation. Finalement, ces îles sont des « hétérotopies », lieux où se projettent les marges et les tensions sociales.
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