Rose Marie Bouvet (Saint Senoux, Bretagne, France) | Citron du Bassin d’Or | Seconda opera classificata Sezione Diari di viaggio Lingua straniera | Thrinakìa Settima edizione Premio internazionale di scritture autobiografiche, biografiche e poetiche, dedicate alla Sicilia | Motivazione della giuria: Un itinerario che l’autrice compie insieme al marito tra luoghi storici e d’arte, templi, chiese e città siciliane, immergendosi tra civiltà originarie da tutto il Mediterraneo. Il respiro corto e sempre più affannoso, come il passo sempre più faticoso del suo compagno, aggravano il suo cuore lungo la risalita dell’Etna. Una narrazione riconoscente verso la grazia accordata al marito sopravvissuto, verso i poteri divini o pagani che permeano questi luoghi, verso l’intervento dei medici dell’ospedale Ingrassia di Palermo sui quali aleggiano le grazie della cattedrale di Monreale e la grazia degli alberi di limone in fiore sulla Conca d’Oro.
Thrinakìa settima edizione: premio internazionale di scritture autobiografiche, biografiche e poetiche, dedicate alla Sicilia | 31 maggio 2024 | Il Maggio dei Libri | Palazzo della Cultura | Città di Catania
Pendant cinq ans, j’ai cru que le nom de l’Ospedale Ingrassia à Palerme signifiait la grâce, alors je rendais grâce à des puissances divines ou païennes qui devaient imprégner cet endroit, la grâce accordée à mon mari, qui avait survécu grâce à cet hôpital au-dessus duquel devait planer la grâce, peut-être les grâces qui s’échappaient de la cathédrale de Monreale toute proche, ou peut-être les citronniers en fleur de la Conca d’Oro, veillant d’une élégante grâce sur le destin de notre couple. Tardivement j’ai appris que cet hôpital était un ancien sanatorium pour soigner les tuberculoses, j’ai alors compris le parc immense en voie de délabrement qui avait adopté ma solitude étourdie et contenu ma détresse muette. Je n’avais pas eu alors de vraie curiosité pour l’histoire des lieux, chaque jour tremblait une petite victoire noyée dans des déserts de l’attente. Je détaillais chaque moment, j’étirais chaque trouvaille, chaque fleur sur le chemin, chaque détail des piliers du cloître, écrasée par le présent.
Et pourtant, pour commencer, nous avions traversé l’île par des monceaux d’histoire antique, des temples et des églises, des villes escarpées et des villages biscornus, des images du passé mélangé, quelle idée avait saisi les Normands d’y venir croiser les arts, et comment découper, partager les côtes entre les civilisations venues de toute la Méditerranée, cette flamboyance millénaire exposée à tous, un vrai voyage touristique malgré son souffle court, une bronchite à n’en plus finir, respiration de plus en plus sifflante à la fin de notre tour de Sicile, jusqu’à l’Etna, puis jusqu’à Enna, des marches de plus en plus laborieuses à chaque arrêt, et l’habitacle de la petite Fiat devenant toujours plus silencieux au rythme de ses endormissements. Plus tard, il pensera que l’Etna aura eu raison de son cœur. Insuffisance cardiaque. Plus tard, il essaiera de comprendre ce que la montée au volcan a transformé chez lui. Il racontera le mal de l’altitude. Et de mon côté, je raconterai que je n’ai plus peur de doubler les voitures à la sicilienne. Mais en attendant de retrouver l’humour, on ne faisait pas les malins.
Palerme, dernière étape avant de reprendre l’avion, deux jours prévus pour découvrir la ville, un hébergement au pied de la cathédrale, mais si vous connaissez l’endroit, vous devez savoir, ce qu’on ignore dans l’insouciance de nos réservations par internet, qu’une pente abrupte séparait notre gîte et de la cathédrale et des commerces et restaurants, et que la fameuse montée fut fatale à notre arrivée. Pas exactement le soir, où nous avons réussi à grimper, faire quelques courses, mais dans la nuit, il commença à respirer avec peine, jusqu’à suffoquer, jusqu’à.... ce qui déclencha le branle-bas de combat. On ne faisait pas les fiers.
Heureusement, la modernité avec la WI-FI et les appels d’urgence et la traduction instantanée. J’essayais de parler en anglais, mais l’opérateur ne parlait pas anglais, et ensuite à l’hôpital, personne ne parlait anglais, y compris les médecins. J’articulais dans ce que je croyais mon meilleur italien et je répétais, « mio marito non riesce a respirare », je répétais l’adresse, j’ai cru comprendre qu’ils arrivaient, qu’ils allaient venir le chercher, subito. Juste le temps de continuer à l’éponger, de prendre quelques affaires, la sirène au loin se rapprochait, direction le portail, la télécommande dans une main, en remerciant notre hôtesse pour ses explications, le téléphone de l’autre si jamais l’ambulance se perdait en chemin. Cinq minutes je crois, pour arriver. Oxygène, et puis enfournés à l’arrière de l’ambulance, sous les yeux de notre hôtesse mal réveillée, je vous appellerai. Nous foncions dans la nuit, j’ai rendu grâce à la conduite sicilienne.
Sonnée, envahie par la sirène assourdissante des secours mais pas plus de cinq minutes pour rejoindre le service des urgences. Monitoré, écartelé drapé sur une table d’examen, pourquoi des draps jaunes, comme des toges, on rejoint l’antiquité dans un coin d’hôpital. Ils sont combien, 5 ou 10, je ne vois que du mouvement, de l’agitation. Après des tentatives pour m’extraire quelques informations, ils concluent que je comprends trop mal leurs questions pour être utile, et finissent par se lasser de ma présence silencieuse certes mais anxieuse, curieuse et on me met à la porte. Je resterai debout dans le couloir face à ces doubles battants qui parfois laissent entrer ou sortir des tuniques diversement colorées qui se retrouvent avec jovialité pour aller boire un café ou fumer.
Plus tard, j’aurai eu le temps de repérer la salle de pause où ils vont griller une cigarette et m’en étonner-on peut encore fumer dans des locaux de santé- mais pas trouvé la machine à café qui rarement fonctionne. Je mettais mes pieds dans le film, pas à pas. Dans le film sicilien, une façon d’y mettre les pieds, dans les mêmes galères que les autres familles de malades. Pas à pas. Et aussi par à-coups.
Quand il a été admis dans une seconde salle d’urgence plus intime, toute petite sans fenêtres mais avec des rideaux qui cachaient la moitié de la pièce, quand il a commencé un traitement sous surveillance avant de nouveaux examens, nous commencions d’échanger quelques mots de soulagement pour ce début de victoire-il pouvait respirer à nouveau et même un peu parler-est arrivé un brancard sanguinolent d’un jeune homme qui avait dû perdre une bagarre, ou tombé d’un toit, ou d’un scooter, suivi bientôt d’une mère comment la décrire, hurlant sans répit toute la fin de nuit "ah, mon fils va mourir", et c’est ainsi que j’entrais dans le film, la danse, la transe sicilienne. Au moment où les émotions auraient pu m’anéantir ou juste me convulser, me retourner le cerveau, me transformer en loque, juste trembler sur l’avenir compromis, voilà que la Sicile m’embarquait dans ses circonvolutions, ses moments de grâce et de frottement (le contraire de grâce ? ingrassia ?!), torpillée sans arrêt par des séquences inattendues ou au contraire tellement kitsch qu’on a du mal à y croire, et c’est vrai pourtant.
Nous étions deux étrangers et nous partagions tous les deux cette inattendue découverte du pays. Oui, les couloirs restaient sordidement sombres et vieillots, comme si on était transporté des décennies avant l’année 2019, et dans la chambre des urgences, celle des premiers jours, on avait abandonné tout repère connu. Une vingtaine de patients s’entassaient bord à bord des lits encombrés de tubes, de perfusions, mais tellement surveillés qu’ils devaient lever la main pour les toilettes ou de l’eau, et que les familles n’étaient autorisées à veiller leur malade qu’en durées très limitées, debout dans l’espace de 50 cm entre chaque lit, et exclues parfois quand elles réclamaient trop de... on ne sait pas quoi exactement, aller fumer dehors avec le malade, ou prendre l’air ?
Par moments, on avait l’impression que tous les présents, patients familles s’alliaient pour faire pression sur les soignants, comme un volcan qui gronde d’abord sourdement, puis ça monte, et les infirmiers alors appelaient le vigile. C’est ce vigile qui autorisait au compte-goutte telle famille après l’autre, je ne comprenais pas son comptage, au début, je trouvais qu’il passait mon tour, non, j’étais certaine qu’il passait mon tour, parce que je ne savais pas réclamer, ou pousser les autres près de la porte...
Cette transe permanente, ce tourbillon de démonstrations gesticulées que je comprenais avec peine, ce mouvement qui m’éloignait de mes propres émotions et gommais mes craintes, je me demandais si les migrants le ressentaient ainsi en arrivant sur les côtes siciliennes. Je me demandais aussi s’ils retrouvaient peut-être un peu d’Afrique venue des siècles lointains, dans ces versions colorisées par les mammas de youyous ancestraux, je me rappelais la côte sud vers Trapani, avec sa cuisine cousine de la tunisienne, et cette manière d’être présent en grappe à la foule, je me demandais si cette version de la vie collective, agitée, intense, aidait à tenir le coup, s’il fallait mieux débarquer ici qu’en Espagne, par exemple ?
Je m’efforçais de ne pas leur en vouloir de ces bousculades qui allaient se renouveler lors du changement de service, quand il fut admis en soins intensifs du service de cardiologie, à l’étage. Là encore, les portes fermées à la visite, mais une affichette qui autorise un seul visiteur par patient de 13h à 14h. Malgré cette apparence de rigueur, c’est la ruée bien avant l’heure, et quand l’un arrive à se glisser à force de grands sourires au personnel qui franchit la porte, nous nous pressons de nous engouffrer dans la brèche. Parfois, arrivés en nombre à la salle, un médecin nous repousse vers la sortie, mais la plupart du temps, ça les arrange finalement qu’un proche vienne redresser les coussins, écouter les plaintes, essayer de nourrir son malade, le nettoyer un peu. Il y a une douzaine de lits qu’aucun paravent ne sépare, sauf au moment des soins, et partout des tuyaux et toujours des bips.
Je crains surtout ces bips qui nous scotchent au moniteur, rivés tremblants aux courbes incessantes, sinusoïdes vertes ou bleues, code international. Que faire sinon d’un lit à l’autre, avec mon pauvre vocabulaire, commenter, se rassurer, c’est mieux aujourd’hui, vous verrez demain ça sera votre tour, pacenza, pazienza, patience, et chaque jour la question répétée, quand va-t-il sortir, chaque jour la patience. Parfois la note d’espoir d’une infirmière qui prend un peu de temps pour expliquer, un peu de liberté pour nous accepter un peu plus longtemps que l’heure accordée, ou qui apporte une chaise qu’on se prête de famille en famille, on retrouve les mêmes, enfin on finit bien par s’apercevoir, que certains manquent à l’appel, pas ceux qui allaient bien, plutôt les plus abattus, pâles, amorphes, peut-être déjà presque partis, on ne demande pas où, on baisse la tête si jamais un brancard...
Parfois, il faut attendre le médecin qui va passer, qui devrait passer dans la journée, on attend toujours des résultats, on dirait une boîte à concours, des examens et des résultats, on espère que son malade est le bon élève, celui qui va s’en sortir les doigts dans le nez. On a appris à décoder le jargon, les sigles, les taux de tel ou tel indicateur sanguin, ou les images, oui j’ai compris, il n’y a pas que le cœur, oui, les poumons aussi, et les autres organes et aussi le sang et... stop, je ne comprends pas. On me fait signe de suivre le brancard dans l’ascenseur, les couloirs, jusqu’aux salles d’examen, docilement je suis en essayant d’attraper des bribes, peine perdue.
Heureusement, il y a Barbara, merci merci Barbara venue de Calabre (où nous avions connu la famille) pour effectuer son internat de médecine à Palerme. Grâce à une maman française, grâce à son statut, elle parle avec les spécialistes de l’hôpital et elle traduit, elle résume de jour en jour, grâce à sa jeunesse et à sa fougue, elle adoucit, elle tamponne, elle crée des ponts avec le cardiologue de France. Après sa venue, je vais m’offrir un cannolo à la pistache.
Il faut sortir de l’hôpital, sortir du parc, étirer les moments, prendre une heure pour aller chercher un café, rêver d’un cannolo, faire le tour, la porte est fermée, la machine est cassée, il faut aller plus loin sortir de l’hôpital, remonter la rue, entrer, il y a toujours foule, on paie pour un ticket, ensuite stressée-concentrée, je désigne le plat en vitrine, on me comprend de mieux en mieux je crois au fil des jours. Surtout, je finis par savoir exactement quels arancini je préfère, je distille le goût à petites bouchées, je m’offre en douce ces essais d’habitude pour attraper de la normalité, je m’installe parfois en terrasse, je finirai par me fondre dans Palerme.
J’ai mon carnet de ticket de bus, je connais les arrêts, les virages, la descente flambeuse à l’aller, la remontée poussive, les passagers du midi et ceux du soir, j’aurai peur un jour de rater le dernier bus vers ma banlieue, attendre en compagnie de clochards avec leurs bouteilles, peut-être migrants peut-être clandestins, demandant un arrêt en pleine nature. Dès le lendemain, mon hébergeuse me recommandera Marcello le taxi, toujours disponible dans les 5 minutes, c’est mieux en cas d’urgence, et plus sicuro. Du Salento à la Sicile, je retrouve la bulle de protection qu’on veut poser sur la femme étrangère solitaire, ne pas sortir seule.
Et pourtant, je traverse la ville parfois dès le matin, de long en large et surtout en travers je m’enhardis à suivre l’instinct, suivre les fresques sur les murs, les histoires incessantes du street-art au fond des ruelles, les surprises planquées au fond des impasses, et puis la vie dehors, s’approcher des gens, les enfants dans la rue, les femmes, les jours de marché. Je finis par entrer dans toutes les églises, mes pieds trouvent l’abri, mes pensées aspirent à l’ombre, je sieste assise sous les statues silencieuses des saints séculaires.
Je marche des heures, je crapahute, j’erre, je m’aventure au gré des pas, des scènes de rue, je m’enfonce dans les quartiers, je vais au hasard le nez en l’air, je m’efforce de me glisser dans le décor, histoire de respirer l’air de la normalité, j’inspire tous les souffles de la vie grouillante de Palerme, mon hébergeuse m’a dit de visiter, de profiter du temps, de ne pas rester toujours dans les salles d’attente de l’hôpital à guetter les horaires , alors je fonce dans l’ambiance de la ville, mes pas attirés vers le port, vers toujours plus loin, et je remercie toutes ces églises qui m’offrent leur repos, le temps d’une pause, s’asseoir à l’ombre, souffler, sommeiller. Ne pas penser, une chape de plomb à la place du cerveau. Palerme brise-larmes.
Mais c’est toujours à Monreale que je reviens, cathédrale et cloître, j’y vais en semaine , à toute heure, avec ou sans touristes, et j’y vais aussi un jour de fête, avec des enfants en tenue de cérémonie (je ne saurai jamais laquelle) entourés de familles endimanchées. Je m’emplis les yeux de leurs rassemblements familiaux, de leurs complicités pendant l’office, de leur manière d’y être en étant ensemble ; les autres jours, je me concentre sur la beauté de chaque mosaïque, des volutes, du tissage entre les cultures, du mariage entre les religions, je me raconte l’histoire des architectes, je m’ébahis du Re Ruggero qui a laissé son nom et ses convictions, et surtout je parcours et j’apprends par cœur chaque pilier du cloître, j’essaie d’enchaîner les séquences pour tenter d’accéder à l’histoire générale, peine perdue, je dois recommencer chaque jour une autre histoire. La beauté, dernier écran avant la douleur.
Enfin, il va mieux, il sort des soins intensifs et entame une nouvelle semaine dans une vraie chambre d’hôpital qu’il va partager avec deux autres malades. Celui qui est près de la porte est très vieux, il croit le reste du monde aussi sourd que lui, quand sa femme et sa fille viennent le voir, il se plaint sans discontinuer, tout son corps a mal, endroit après endroit, jour après jour, il ne peut même plus manger, elles doivent l’aider et puis apporter ceci ou cela, il leur donne des ordres. Quand elles sont parties, il se met à dévorer, il crie après les infirmières qui ne lui répondent même plus et envoient l’infirmier demi-mêlée de rugby, qui lui ne répond pas, installe une perfusion, retour au calme immédiat. Ses voisins de chambre ne semblent pas exister.
Le lit du milieu met une autre ambiance, il étale sa vie davantage chaque jour et surtout la famille. Sur les murs de l’entrée, du couloir, les pancartes répètent qu’une seule visite à la fois est autorisée, et pas les enfants. Un jour, on comptera dix personnes autour et sur son lit. Mais il faut comprendre, le tonton qui revient de France pour revoir la famille à Cefalù et premier jour, trop de soleil, trop d’apéros, et plonger dans la mer trop froide pour le cœur, alors c’est la famille qui vient lui faire goûter la pasta de la mamma, montrer les derniers-nés des petits-neveux, lui remettre des phrases qui dansent, la musique des mots du pays, des éclats de rire pour faire entrer le soleil, goûter les poissons qu’il n’aura pas pêchés, du baume au cœur justement pour le guérir, son cœur.
Dans cette chambre, la vie revient, à la sicilienne. Nous regardons, nous écoutons. Il apprend les mots d’ici, avec ses voisins, avec les infirmiers, les aide-soignants. Il connaît leurs prénoms, leurs anecdotes et l’humeur du jour. Souvent, il est question des menus, des recettes, des spécialités hospitalières, il se souviendra toujours de l’oignon bouilli. Ils lui parlent aussi de Camilleri, qu’il lit en italien, et raconte comment on a cherché la maison du commissaire Montalbano, tourné en rond, énervés, fatigués. Chaque jour nous rend plus impatients de rentrer, mais les médecins rechignent. Trop risqué. On passe des heures au téléphone avec l’assistance rapatriement. On consulte les vols possibles, toujours repoussés. On s’enhardit, on se déplace à petits pas dans les couloirs, oui toujours accompagné, on fait bien attention, on visite les couloirs, les portes ouvertes sur des chariots de ménage, on pousse jusqu’aux bureaux des médecins, jusqu’à la chapelle, des bancs pour souffler, des statues, des bougies, un autel, pour le regard. Un lieu pour apprendre que respirer doucement fait passer le temps plus vite dans le chas de l’aiguille.
Et puis dans l’air, une idée de départ, les matins extasiée dans le limoneto, je mitraille les citrons, les fleurs, les fruits, je photographie les eaux qui ruissellent, les canalisations, les palettes, la terre et les cailloux, pour montrer les bonnes images, pour entasser des souvenirs de remplacement, la Conca d’Oro qu’il n’a pas vue, tous les jours je vois la mer la montagne, je les enferme dans mon appareil photo, de la légèreté. Dans les boutiques à touristes, je lui achète le tee-shirt “il padrino sono io” pour qu’à nouveau, il pense à se la jouer comme Marlon Brando. Les gens ici disent que c’est fini, la mafia. Ah bon. On a une date de retour. On recommence à prévoir, les listes, les plannings, la famille, la maison, tout ce qui avait disparu. Il prend la pose avec le vigile de l’hôpital, et la Vierge Marie du couloir, on n’a pas trouvé de sainte Rosalie. Il ne s’est pas rasé pendant son séjour, le vigile a une barbe très longue de vieux biker. On rit, j’envoie la photo à la famille.
L’assurance dit même qu’il aura un peu de temps pour voir la ville avant le rapatriement. Marcello au volant nous embarquera dans son road-movie de Palerme et ses histoires sans fin qu’on arrêtera à la pasticceria des meilleurs cannoli. En attendant l’ambulance pour le retour, on voit accoster un ferry et son image aussi sur l’écran de télévision qui montre une foule de jeunes à bord, avec des pancartes contre la mafia. Sur le chemin de l’aéroport, les ambulanciers garent le véhicule le temps de partager un café avec nous. « C’est ici que le juge Falcone avait été explosé, c’est l’anniversaire de sa mort ». 600 kilos d’explosifs. 23 Mai. Ciao. On s’échappe. On rentre.