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L’ultime : une question sociale totale / Sous la direction de Bernard Troude / Vol.21 N.3 2023

L’ultime du système de Santé dans l’organisation des Soins : ou de l’évolution du prendre soin au bout d’un système

Maïlys Michot

magma@analisiqualitativa.com

MD PhD, One Clinic

 

Abstract

Le système de santé est au bout de son organisation. Au-delà d’une restructuration politique et économique c’est une dynamique globale du prendre soin qui est en train de se ré inventer. Pour cela, la prise en compte de toutes les faces de cette problématique complexe, et de tous ses acteurs est indispensable.

 

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HOF–L–02000–CG: L Hoffer, Chess, George Routledge & Sons, 1951. Les biblio-graffitis de Roy Gold (1918-2008), artiste outsider de sa collection de livres. Par Nicholas Jeeves (designer, écrivain et professeur à l'école d'art de Cambridge), in D. Graham Burnett éditeur de la série Conjectures, Revue du domaine public (Mai, 2018).

Introduction

La distinction, entre ce qui appartient au champ de la Santé, au champ du Social et au champ de la Médecine, est de moins en moins évidente. Ces pans fondamentaux de notre organisation sociale, sont de facto différents, même si inters connectés. Et ces interconnexions mal sémantisées, difficiles parfois à détricoter, participent à une sensation de flou pensé, écrit et ressenti. Et cela participe à la peur affichée, voire à la colère, qui n’est en fait qu’un des nombreux visages de la peur, concernant les éventuelles évolutions de notre protection sociale, de la qualité absolue et universelle des prises en charge sanitaires futures, mais aussi de la pragmatique notion de remboursement. Ainsi un des nœuds actuels peut également être reformulé sous la question du poids de la Santé dans le budget à venir des ménages. Ainsi quand trop d’enjeux s’interconnectent, le temps de la respiration et de la réflexion s’impose. La théorisation de l’ensemble et de chacun des pans de ces problématiques est un enjeu fondamental dans cette période ultime, dans ce qu’elle implique de renaissance et de recommencement. Ils ne pourront être réussis que dans une certaine forme d’harmonie des contraires, à défaut de congruence. Mais cela demande du travail et face à l’ampleur de la construction de la cathédrale à venir, c’est déjà une toute petite pierre que je vous propose de de poser ensemble ici.

A- La fin

De l’organisation ou de l’histoire du système de protection sociale en France [1]

La Sécurité Sociale et sa création en 1945 répond à la généralisation d’une solidarité qui existait déjà et s’est développée au sein de groupes d’individus, avant de devenir générale par la volonté et l’orchestration politique nationale. Elle symbolise aujourd’hui la clé de voûte du pacte social républicain et a en ce sens une vocation qui dépasse largement la réalité de sa construction. Elle permet également la sortie du système de solidarité de son hégémonie jusque-là religieuse et participe de fait à la construction de la laïcité, même si dans les faits le système religieux avait rapidement été complété par des communautés de métier. Cela dit cette protection restait parcellaire et la construction politique du système de protection sociale permet son uniformité.

L’abolition en 1791 des corporations entraine la disparition de ces protections sociales disparates et archaïques (loi le chapelier), et c’est au 19ème siècle qu’apparaissent les premières sociétés privées de secours. À partir de 1898 sont instaurés et largement encouragés les systèmes mutualistes. Le fondamental de ce système est de permettre à la protection sociale d’intervenir, y compris en marge de l’état, sans pour autant entrer dans une logique lucrative, ni une logique religieuse. Le politique cherche à inscrire ainsi l’idéal républicain dans le quotidien de la protection contre la maladie.

En 1893 l’État crée une assistance médicale gratuite pour ses citoyens et encourage en 1889 les employeurs à assurer leurs employés en cas d’accident de travail. Les rajouts de protection se mettent ainsi bout à bout jusqu’à la cohérence institutionnelle symbolisée par l’avènement de la Sécurité Sociale en 1945.

A partir des années 1970, se fait sentir une situation de crise avec un financement de plus en plus compliqué sur fond de vieillissement de la population, avec une augmentation exponentielle des dépenses associés et la fragilisation des systèmes de financement. Les évolutions techniques, aussi bien diagnostiques que thérapeutiques, participent évidemment à cette envolée des coûts

De la protection sociale dans le monde [2]

L’organisation Internationale du travail (OIT) publie tous les 2 ans un rapport sur les conditions d’accompagnement social dans le monde, que ce soit en termes d’accompagnement de la maladie mais également de la grossesse, de la vieillesse et du chômage, entre autres.  S’il existe une extension mondiale des branches de prise en charge, son extension, en termes de pourcentage de la population qui en bénéficie, évolue, elle, très lentement.

Cette impulsion de protection sociale à visée universelle démarre de l’Europe et tend à s’étendre aux autres pays du monde. Les chiffres disponibles en ce qui concerne la protection sociale sont tantôt disponibles par pays, tantôt par zones géographique. Ces chiffres évaluent, en ce qui concerne la branche maladie, à 39% la population mondiale qui serait exclue de toute couverture. Ces chiffres montraient cependant une accélération et une globalisation de la prise en charge mondiale notamment sur ces dernières décennies.

Cependant, depuis 2016, l’OIT constate que la recherche universelle d’assainissement des finances publiques impose un impact défavorable sur la protection globale, notamment des plus défavorisés. La crise Covid n’a fait qu’accélérer le processus, en immisçant une certaine forme d’insécurité dans les choix politiques et une tension de plus en plus perceptible sur fond de crise économique internationale.

De la recherche d’une évaluation Coûts-Efficacité

La Haute Autorité de Santé (HAS) [3] a été créée en 2004 répondant à l’ambition d’une instance qui, par ses évaluations indépendantes et ses recommandations, permettrait d’optimiser les ressources et d’utiliser à bon escient les moyens disponibles. Les rapports rédigés par la HAS se veulent autonomes, argumentés, motivés et travaillés pour permettre la transparence quant à la hiérarchisation des valeurs qu’elle implique. Ainsi « dans le cadre de ses missions, la HAS émet des recommandations et avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescription ou de prise en charge les plus efficientes » (article 41) [4] [5].

La visée alors est de revenir à une vision collective pour chercher une efficience globale. Le cas particulier s’inscrit dans sa prise en charge dans une dynamique de masse, et de raisonnement probabiliste dans lequel la dynamique coût efficacité est redevenue centrale. Le soin recrée du collectif dans une dynamique sociétale globalement individualiste. Les recommandations ainsi rédigées intègrent de manière transparente les situations où les données sont insuffisantes pour statuer. En utilisant une graduation par niveau (A B C) en fonction de la force scientifique des données à l’origine de ces recommandations elles intègre le niveau scientifique de preuve de ces recommandations [6].

L’objectif global des différents outils d’analyse, dans une pratique clinique courante, n’est pas de rationner les choix en termes d’outils diagnostics et de traitement mais bien de permettre aux équipes soignantes de répondre au mieux, à l’échelle individuelle, en s’inscrivant dans une démarche stratégique d’efficience de ses choix au sein d’un système contraint en terme financier. Le sujet global est de redonner du collectif à l’individuel et de l’individuel au collectif.

De la recherche de réduction des Coûts tout court

Depuis la crise Covid une ré-ascension des coûts a été observée. Elle ne correspond pas seulement à un report des coûts de l’année de la pandémie, elle correspond aussi probablement à des demandes complémentaires, soit dans les suites de la pandémie que ce soit sous la forme de pathologies somatiques qui se sont chronicisées, que de pathologies psychologiques ayant décompensées. Ainsi 2020 enregistre un record de coûts avec une hausse de 3.5% sur l’année par rapport à l’année précédente, Il s’agit de la plus grande hausse des dépenses depuis 30 ans. Cette hausse a également été observée chez nos voisins directs européens, mais également en Angleterre et aux États Unis. Cette crise sanitaire est à l’origine d’une restructuration importante dans la dynamique de remboursement avec une redistribution des biens et services remboursés au profit des situations les plus graves, et accentuant encore le désengagement de la solidarité nationale dans les situations dites « de confort » [7].

La place de la prévention est mal définie, hors campagnes de dépistages organisés, avec des dépistages tout venant de plus en plus critiqués sur l’argument d’un manque d’efficience. À ce titre les dépistages organisés sont également remis en cause, mettant en avant une sur sélection de patients enclins à faire de la prévention et toujours aussi peu de patients dépistés dans les populations fragiles, sous diagnostiquées et prise en charge tard, celles-là même visées par le dépistage [8].

L’échelon individuel manque, mais un individuel rattaché à son collectif. Et c’est un des grands enjeu des évolutions à venir.

Du labyrinthe patient

Perdre le patient dans le système : à l’autre bout de la chaine il y a un sujet, devenu patient, sa problématique profane, son irrationalité, ses peurs, et son risque d’errance dans un système de soin de moins en moins bien fléché. La pénurie médicale actuelle rend inapplicable une organisation des soins qui se voulait centré sur le médecin traitant afin d’optimiser les parcours, et d’éviter les consultations inutiles, les retards de prise en charge et les sorties du système.

Sans une véritable politique d’éducation à la Santé et sans guide, le patient risque de se perdre et d’utiliser les ressources à sa disposition de manière inefficiente voire inadaptée. Le manque de médecins généralistes, dans un système d’évolution centrée sur la Médecine Générale, se fait d’autant plus criant que cela participe à la désorganisation globale du système. Et cette désorganisation est également source de gaspillage de ressources, de temps soignant, d’énergie, d’argent. Les perspectives offertes par le développement du recours aux infirmières de pratique avancée, de l’émergence des assistants médicaux et toute la dynamique offerte par le développement des « parcours patient », avec une plainte centralisée et une réponse multidisciplinaire, représentent une ouverture organisationnelle certaine, mais là encore l’orchestration de ces recours reste mal définie.

Broyer le patient dans le système

Le recours aux urgences est devenu un des outils palliatifs d’une médecine de premier recours submergée et en manque d’effectifs. A la surcharge effective de travail, sur fond de frustration, face à l’impossibilité de faire face à la demande croissante et anxieuse des patients, les réponses politiques de prise en charge du burn-out des soignants se multiplient. Au milieu se retrouve un patient toujours sans guide, un patient anxieux au lendemain de la crise CoVid, méfiant dans les suites des débats globalement mal compris, et qui voit un reste à charge croissant en ce qui concerne ses problématiques Santé quotidiennes.

Écouter le patient pour la reconstruction du système

Si le système de Santé pourrait imaginer se passer politiquement de la réflexion des usagers, le système de Soin, se doit lui de se centrer autour de celui qu’il soigne. Les dynamiques de politesse, de respect, de bienveillance sont les valeurs refuges du bien vivre ensemble. Elles n’échappent pas au domaine du soin. Redonner le pouvoir au patient pour la co-construction d’un nouveau système de santé et non uniquement un système de prise en charge des maladies, permettra de ré insuffler une dynamique de prévention centrée sur le sujet, avec une prévention qui revêtira du sens, d’autant que cette prévention pourra être à terme source d’économies individuelles et collectives. Ces perspectives ont été théorisées par la loi de 2002 et rethéorisées en 2014, avec des propositions d’actions très factuelles, reprenant justement cette dynamique nécessaire d’alliance entre soignants et soignés à l’échelon politique global mais aussi individuelle pour permettre au système de croître en pertinence et également en performance.

Bien être du soignant ou Du Burn out des Soignants

La sémantique du Burn Out, quoique rethéorisée et davantage travaillée sémiologiquement, notamment depuis la crise Covid, est parlante de manière globale que ce soit aux profanes comme aux soignants. Michel Delbrouck fait partie des premiers lanceurs d’alerte et il en fait une analyse très compète mettant en avant sa complexité [9].

Les structures d’entraide se multiplient, sur des modalités et organisations variables. Un diplôme inter Universitaire donnant droit au titre, a même vu le jour et ce avant la crise Covid dans la suite des travaux du Pr Eric Gallam [10]. Le professionnel de santé refait l’objet d’attention quant à sa place et à son vécu en tant que porteur de soin, et également en tant qu’individu. Le fondamental de la perte de sens au sein de la profession n’est que peu analysée. Ce sont les symptômes qui sont mis en avant, dépression, épuisement, perte de sens, addictions…En moyenne 25% des infirmiers présentent des signes d’épuisement professionnel et le taux de suicide reste nettement plus élevé chez les médecins que dans la population générale. Le risque est que ce syndrome d’épuisement serve de case fourre-tout où se glisseraient les authentiques perte de sens et d’élan vital au travail, au milieu de problématiques organisationnelles et de maltraitances institutionnelles devenues ordinaires. Pierre Canouï évoque la maladie de la relation d’aide [11] . Feuberger écrit que : « l’épuisement professionnel est une maladie de l’âme en quête de son idéal » [12]. Le rôle des dysfonctionnements organisationnels dans les pratiques de la profession de Soignant sont également mis en avant. Mais il semble exister aussi une dimension plus profonde, avec recherche de sens et d’alignement des valeurs du Soignant pour lui permettre de rester dans la lumière.

L’éthique médicale représente en cela un bon outil d’interrogation du sens, individuel et collectif, et ses analyses mériteraient d’être évaluées dans leur capacité à prévenir au sein de la profession ces maladies du sens.

Redonner du temps

En février 2023 François Braun ministre de la Santé et de la Prévention, a annoncé dans ses priorités de réorganisation du système, sa priorité majeure et les outils utilisés pour redonner du temps médical aux médecins. La volonté affichée de diminuer la charge des tâches non médicales se déclineraient en 15 mesures, dont l’esprit général est pour l’essentiel de fluidifier les relations entre les professionnels de Santé et l’assurance maladie.

La question du niveau de rémunération des professionnels de santé fait partie de l’équation. D’un mode de rémunération, avec l’idée d’une nécessaire sortie du paiement à l’acte, affronte l’envie d’une rémunération à la performance mais avec le risque d’une sélection des patients par les professionnels. La conscience d’une diminution progressive des revenus moyens des professionnels de santé, s’intrique dans une problématique plus complexe qui inclue tous les professionnels du soin et des tarifications inadaptées à l’augmentation générale du coût de la vie [13]. En réaction beaucoup d’idées éparses, de réactions épidermiques, un problème de niveau de rémunération certain, mais surtout vrai problème de reconnaissance et de considération dans un monde où cela passe aussi par l’argent, même si ce n’est pas exclusif.

Réinventer l’équipe

Tous les maillons de la chaine du prendre soin sont importants quand il s’agit de porter ensemble et d’accompagner le patient tout au long de son parcours, si ce n’est vers la guérison ou la Santé au moins vers un mieux, retravaillé ensemble, autour du sujet et de ses proches. L’utilisation des compétences de l’intelligence émotionnelle pourrait se montrer protecteur selon Alcyone Guillevic. Les travaux réalisés notamment dans le milieu de l’enseignement et de la transmission démontre la pertinence des outils d’intelligence émotionnelle pour créer une cohésion collective susceptible de protéger ses individus [14].

Oser la confiance en abolissant la dynamique impertinente des hiérarchies, entre des postes complémentaires et non pyramidaux, oser la bienveillance et la protection des professionnels du soin en commençant par nos espaces de proximités et en élargissant peu à peu le modèle, reconstruire un modèle d’organisation centripète et non plus centrifuge, interconnecté, en mouvement permanent car ce mouvement c’est la vie, la vie des équipes, la vie du système, la vie de nos patients, voilà probablement une part des grands enjeux de la construction à venir.

De la réconciliation des contraires

Ainsi le système est au bout, au bout de son organisation, au bout de ses soignants, au bout de ses ressources. L’ultime dans ce qu’il a de chronologique et de spatial, dans ce qu’il implique de « refondation du monde » pour emprunter la terminologique de Jean- Christophe Guillebaud. La créativité fait partie des réponses à apporter à l’ultime avec la solidarité en filigrane pour permettre à l’ultime de donner place au sens, à plus de sens. L’Homme passe son temps à se tromper et à refaire. La métaphore du balancier est souvent utilisée pour décrire le parcours de ses évolutions et de ses avancées. Le juste tombe 7 fois dans la pensée biblique, car le juste est n’est pas celui qui ne tombe pas mais bien celui qui se relève.

Le temps est au travail, à un travail collaboratif et co-construit, dans un univers du soin en perpétuelle recherche de sens, y compris dans ces situations cliniques dramatiques qui en paraissent tellement dénuées.

B- Les enjeux structurels de l’évolution du système

Le temps

Toutes les études, analyses, sondages sont unanimes. Le temps soignant s’est profondément modifié avec une diminution du temps porté aux soins et une augmentation du temps administratif. Le rapport du Conseil National de l’Ordre des Médecins met en lumière les problématiques intrinsèques de la médecine, dans son organisation ou plutôt le bout de son organisation actuelle. Le diagnostic est fait de cette situation ultime, mais si les problèmes sont à présent à peu près tous en lumière ce sont les propositions de solutions factuelles qui sont en devenir.

L’espace

Les espaces d’interactions entre professionnels de santé sont une part cruciale de la problématique. Car il ne suffit pas de choisir de travailler ensemble, cela implique de facto des solutions pratiques pour répondre au projet. Cela passe par des espaces de communication et les solutions devenues indispensables en sont à présent nombreuses, ce qui ne rend pas toujours forcément la situation plus fluide. Cela implique également des espaces d’échanges, adaptés, instantanés, mais pas trop pour ne pas parasiter les espaces dédiés au colloque singulier, des temps d’échanges aussi probablement. Et cela implique également une certaine forme de convivialité, pour renforcer la dynamique vertueuse du plaisir à travailler ensemble. L’espace interpersonnel est important mais finalement aussi probablement la nécessité d’une place posée à la relation à soi, la réflexion, l’organisation, la construction de parcours fléchés pour nos patients, pour faire autrement que d’apposer des professionnels les uns à côté des autres, et tenter de leur faire croire que leurs espaces de convergence se résumeraient au staff. Savoir de l’autre, oser cette confiance à l’autre, donner, trouver du sens ensemble est reconnu comme un ingrédient participant à la qualité des soins [15]. Tout cela a des implications pratiques dans le temps comme dans l’espace, et ce qui se mettait en place naïvement et spontanément dans un monde non contraint, nécessite une articulation externe pour pouvoir gagner et en performance et en temps soignant [16].

Les interactions

Car les interactions sont reconnues comme gage de qualité, et ce également dans le monde de la santé. Et ce sont de ces interactions que se construisent les prises en charge reconnues comme optimales car porteuse de sens pour chacun des maillons de la chaine, aussi bien pour le profane que pour le spécialiste. C’est ce que les Canadiens ont entre autres théorisé à travers le concept de médecine narrative [17]. La dynamique en est double : à la fois réintroduire la subjectivité du patient dans la dynamique sémiologique et thérapeutique globale, mais également de réintroduire et resensibiliser le professionnel de santé, à cette dimension non scientifique, non sémiologique, non rationnelle et non mesurable du vécu global de ce sujet sur une prise en charge standardisée. La réalité de la prise en charge globale et de son sens profond devront trouver racine, entre du rationnel et de l’irrationnel, de l’organisé contrôlé soumis à l’imprévisibilité de la vie. Et c’est de la rencontre entre ces espaces de pensée, que parfois tout oppose, mais qui s’écouterons à défaut de s’entendre, que pourra naitre la construction de leurs objectifs communs.

Dis ainsi cela peut paraitre un peu fumeux, un peu abscons, un peu idéaliste peut être ? Et en d’autres termes : Cependant, ne sommes-nous pas dans ces instants ultimes, où l’émotion a le droit de prendre le pas sur la raison et où la jeunesse du raisonnement n’en fourni pas encore la quintessentielle fluidité ?

C- Et ensuite

Sortir du tout technique

L’exemple de la prise en charge des patients fragiles CoVid fait partie des révolutions du système de pensée médicale.  Au démarrage, face à ces syndromes respiratoires aigus, la solution connue en réponse a été la solution technique avec l’intubation. Cette solution s’est démontrée inefficiente, remettant en cause les possibilités car de plus technique il n’y en avait pas. De même la solution « service de réanimation » par rapport à « service de médecine », représentait une montée en puissance et une réponse adaptée, à la lumière des expériences passées. Et l’absence de place en réanimation était vécu comme un échec lorsqu’un patient jeune ne pouvait en bénéficier. Je prêtais main forte à cette période en service de gériatrie. La situation était critique, mais j’étais avec l’équipe que je respecte par ses valeurs, par ce que je sais de son parcours personnel, parce que je savais que nous avions les mêmes valeurs. Nous avons accueilli ces patients trop âgés, trop fragiles, trop faibles, avec dans l’idée juste de leur permettre une fin de vie moins inconfortable. Finalement nos patients avec juste des soins de support, de l’attention, des échanges improbables en visio avec leurs familles depuis nos téléphones (nous désinfections soigneusement après), et avec juste la présence d’une équipe médicale et paramédicale soudée, ces patients se sont mis à aller mieux ! Et nos résultats en termes de mortalité sont revenus finalement assez bons pour ces patients présentant de nombreuses comorbidités. Notre expérience locale a rejoint les expériences de nombreux services de soin. Cela remettait en cause complètement le paradigme du tout technique et nous permettait d’expérimenter cette notion de pertinence des soins, non pas comme un renoncement pour les plus fragiles, mais bien comme une optimisation des ressources centrée sur le sujet.

Ce n’est qu’un départ car ce changement de paradigme en bienveillance mérite encore beaucoup de travail, mais c’est un point d’encrage prometteur.

Le parcours patient

L’optimisation des ressources passe aussi par une articulation des parcours, permettant ainsi d’éviter les gaspillages de temps, de compétences, d’énergie. Pour ce parcours il faut un chef d’orchestre. Dans un monde médical en pleine restructuration quelle doit en être son identité ? La coordination du parcours nécessite un gros travail collaboratif et ce travail prend suffisamment de temps pour ne pas être négligé [18]. La construction à venir permettrait donc des interactions fluides entre les professionnels du prendre soin, et cet espace permettant une fluidité du parcours, avec un fléchage, et une optimisation intégrant la médecine de premier recours, évidemment le patient, mais peut être également ce liant qui reste en devenir.

La médecine personnalisée

Le patient au centre du parcours est en enjeu qui nécessite la conciliation entre vérité universelle et vérité individuelle. Cela passe obligatoirement par l’évaluation. Pour partir des grands essais et revenir au sujet non sélectionné de nos consultations, se servir de la science universelle et la repréciser dans la situation exceptionnelle du colloque singulier, cela demande du travail d’évaluation pour permettre de retranscrire plus précisément les propositions thérapeutiques. Cela ne peut se faire seul. Évidemment l’individu patient redevient pierre angulaire de la réflexion, non pas dans le sens d’une déresponsabilisation du professionnel mais bien dans une dynamique de co-construction des parcours ; et ainsi, d’autres professionnels peuvent être amenés à interagir dans ce milieu ouvert.

L’émergence des médecines alternatives est un fait [19]. Malgré le déremboursement de l’homéopathie 65% des médecins homéopathes disent observer une stabilité du nombre de leurs consultations, avec cependant une modification des habitudes de prescription du fait de l’impact financier de ces traitements non remboursés.  Dans le même 85% des patients interrogés affirmaient leur volonté de continuer à être pris en charge par homéopathie peu importe son déremboursement [20]. Le lien entre niveau de déremboursement et efficacité est dénoué.

L’existence de médecins construites sur d’autres fondations que la médecine moderne fondée sur la preuve scientifique est une réalité. D’autres pays que la France n’ont pas pris l’habitude de les opposer. Ainsi la médecine traditionnelle chinoise, enrichie de génération en génération, complète et adoucit les manques, notamment dans toute la partie prise en charge de la symptomatologie fonctionnelle et dans le champ de la prévention. Ces médecines sont attendues pour répondre au plus près de l’individu, et pour permettre également au sujet de redevenir gardien de sa santé, en ne déléguant plus la guérison, mais en rééquipant son organisme afin de lui permettre de trouver sa voie de guérison.

La part belle de la prévention

Si la prévention reste une notion discutée en termes d’économie de santé, la ré autonomisation et l’implication du patient dans la protection de sa santé est le fondement de la réorganisation du système de soin. Réinvestir le patient, cela signifie également accorder de la confiance dans les compétences du sujet comme gardien de sa santé. Cela signifie travailler sur ses compétences et ses croyances.  En cela le développement de l’éducation à la santé participe à la construction de mode des pensée communs.

L’évolution du prendre soin de soignants

Il est reconnu que la protection des soignants est une dimension fondamentale pour le bon fonctionnement du système de santé. L’optimisation de son organisation ne peut que permettre de redonner du temps soignant aux soignants, limitant ainsi les frustrations formulées à tous niveaux. Redonner du temps soignant c’est aussi redonner du temps humain, du temps de gentillesse, du temps de plaisanterie bienveillante, du temps d’émotions. Et au-delà du temps il s’agit de redonner de la légitimité à l’Humain dans le Soignant. Et c’est probablement là que se situe le grand enjeu dans l’évolution de nos savoirs techniques [21].

Conclusion

L’ultime, outil de renaissance d’un savoir technique, d’une organisation aseptisée, pour en faire un espace vivant, évolutif, ou le savoir être rejoint le savoir-faire [22]. L’humanisation des soins fait l’objet de l’appel à projet de la Fondation de France pour 2023. Il est à penser que ce n’est que le début d’un nouveau chemin, de conciliation, de réconciliation. La réflexion éthique en est un des piliers, la réflexion transdisciplinaire dans ce qu’elle représente de recherches de zones de convergences est sensée se poursuivre à l’image de cette édition.

Notes

[1] Dreyfus Michel, La protection sociale libre et volontaire, notamment mutualiste, jusqu’aux années 1930, in Vie sociale, n° 10, p. 17-30. 2015.

[2] Voir le rapport World Social Protection Report 2014/15. Building economic recovery, inclusive development and social justice, Genève, ILO, 2014. Voir, également, le site mis en place par l’OIT qui permet d’avoir accès aux données : www.social-protection.org. La signature de ce site est explicite et ambitieuse : « Mettre en place des socles de protection sociale et des systèmes complets de sécurité sociale ».

[3] HAS / Service évaluation économique et santé publique / octobre 2011 / Haute Autorité de santé, Choix méthodologiques pour l’évaluation économique à la HAS : www.has-sante.fr.

[4] Chardon-Boucaud Solas, (2022), Dépense de santé en Europe : une forte hausse en 2020 sous l’effet de la pandémie de Covid-19 : drees.solidarites-sante.gouv.fr. DREES, Études et Résultats, n°1238.

[5] Fouquet Matthieu, Pollak Catherine, (2022), Impact des assurances complémentaires santé et des aides socio-fiscales à leur souscription sur les inégalités de niveau de vie : drees.solidarites-sante.gouv.fr . DREES, Les Dossiers de la DREES, n°101.

[6] Haute Autorité de Santé, Guide méthodologique. Choix méthodologiques pour l’évaluation économique à la HAS. Octobre 2011.

[7] Michot Maïlys, Quelle réponse médicale à la plainte fonctionnelle. Réflexion éthique sur la visée du soin, Paris Descartes, 2007.

[8] Prescrire, synthèse 2014 ; Collaboration Cochrane, 2012 ; INCa ; Cancer Research UK.

[9] Compagnon Claire, Ghadi Véronique, Pour l’An II de la Démocratie sanitaire. Rapport : Ministère des affaires sociales et de la santé, 2014-02-14, 259 p.

[10] Gallam Éric, Prendre soin de ceux qui nous soignent : une stratégie nationale et un investissement de chacun dans la durée. Médecine. 2017, 13(7) : 293-296. Doi : 10.1684/med.2017.224.

[11] Canouï Pierre, La souffrance des soignants : un risque humain, des enjeux éthiques, InfoKara, vol. 18, n° 2, 2003, pp. 101-104.

[12] Freunberger H.J, Staff burn out, in Journal of social issue, 1970, 30 (1) : 159-165 (10 bis).

[14] Mikolajczak Moïra, Les compétences émotionnelles, Dunod, 2014.

[15] Stain Elie M., Sur l’ultime. À propos d’une catégorie de procès et réalité : www.thebookedition.com.

[16] Les Études philosophiques, 2002/4, n 63 : www.cairn.info (pages 491 à 509).

[17] Haberey-Knuessi Véronique, L’enjeu communicationnel dans le système hospitalier, in Recherche en soins infirmiers, vol. 115, n° 4, 2013, pp. 8-18.

[18] Noël-Hureaux Elisabeth, La compétence interactionnelle, in l’activité de soin, Recherches en soins infirmiers, vol. 87, n° 4, 2006, pp. 66-74.

[19] Dzierzynski, Nathalie, François Goupy, Serge Perrot, Chapitre 13. Avancées en médecine narrative, Les nouveaux modèles de soins. Une clinique au service de la personne. Arnaud Plagnol éd., Doin, 2018, pp. 163-173.

[20] Dumas Marc, Douguet Florence, Fahmi Youssef, Le bon fonctionnement des services de soins : ce qui fait équipe ?, RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, vol. 20,5, n° 1, 2016, pp. 45-67.

[21] Lazarus Antoine, Delahaye Gérard, Médecines complémentaires et alternatives : une concurrence à l’assaut de la médecine de preuves ? Les Tribunes de la santé, vol. 15, n° 2, 2007, pp. 79-94.

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