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  • Le mythe de la maîtrise du risque dans les sociétés modernes
    Jawad Mejjad (a cura di)

    M@gm@ vol.13 n.2 Maggio-Agosto 2015





    SAVOIR GÉRER LE MAL

    Michel Maffesoli

    michel.maffesoli@univ-paris5.fr
    Professeur émérite à la Sorbonne, membre honoraire de l’Institut Universitaire de France.

    Le sens commun, conservatoire immémorial de la sagesse humaine « sait », de savoir incorporé, que le mal, l’ombre, la mort, la douleur sont des caractéristiques essentielles de l’existence en son entièreté. Dès lors les créatures  quelles qu’elles soient, sont des manifestations de la vie et, dès lors, méritent une attitude « compassionnelle », fraternelle, parce qu’ensemble elles constituent le flux vital. C’est ainsi que l’on peut comprendre l’utilité sociale de ces divers « mondes intermédiaires » que sont les croyances, religieuses ou philosophiques, au « double », au « daimon », aux esprits et autres figures tutélaires ou effrayantes. Elles aident à vivre, au jour le jour, la souffrance en la communalisant.

    La psychologie des profondeurs, en particulier tout le courant « jungien », a rendu attentif à ce que l’on pourrait presque appeler l’aspect « fonctionnel » de la souffrance. Véritable « œil de l’âme » permettant de voir par le moyen des afflictions. Thématique bien connue de l’épreuve initiatique permettant un savoir plus vrai. Plus concret aussi en ce qu’il permet de croître avec les choses qui nous entourent. Ainsi, la dépression ne serait pas à dépasser, ou à soigner, mais à vivre. Dans le « creux » qu’elle aménage peut venir se nicher la leçon de l’expérience. Véritable « leçon de chose » pour laquelle la limite, la contrainte, la déréliction, la mort font partie de la vie en son ambivalence.

    L’on peut extrapoler une telle mise en perspective d’un point de vue social et souligner qu’au-delà du projet « hygiéniste » propre à la modernité occidentale : le « risque zéro », l’asepsie généralisée de l’existence, le désir du mal reprend, toujours, force et vigueur. Terrorismes, consommation de produits toxiques, hallucinogènes, alcool, psychotropes divers, l’étrange hécatombe induite par la conduite automobile, désordre festif, incendie de cet objet vénéré par tous : la voiture, nombreux sont les indices de transgressions, d’outrepassements des limites.

    Ce n’est pas, ici, mon propos de dresser une liste exhaustive des conduites à risque. Mais sans porter sur celles-ci un regard normatif et, au nom de la « neutralité axiologique » qu’il nous appartient de préserver, l’on doit reconnaître que chacune de ces conduites fait l’objet d’une bien étrange ambivalence. Celle de l’attraction et répulsion. L’on en a peur et envie à la fois. Il suffit de voir la curiosité (malsaine ?) que suscitent les divers accidents, morts, blessures induites par ces conduites pour s’en convaincre. Œil de l’âme, ai-je dit plus haut, est-ce qu’il n’y a pas dans le « voyeurisme » contemporain quelque chose qui exprime l’œil de « l’âme sociale ». Le désir de voir le malheur peut, ainsi, être considéré comme la canonisation de ce dernier.

    Ce n’est, dès lors, pas simple provocation gratuite de voir dans les expressions ambivalentes de la souffrance une sorte d’éveil de la société à elle-même. Cette « démarche de l’éveil » était la fonction capitale que Jung dans le « Réponse à Job » accordait à la souffrance. Il faut bien reconnaître que les guerres, actions terroristes, catastrophes naturelles, accidents spectaculaires, et autres expressions du tragique humain, induisent aussi un « éveil » sociétal. Tout cela sert, régulièrement, d’anamnèse à la structurelle impermanence des choses et des gens. Souvenir que la réalité inclut le négatif, que sa nature est contradictoire. Dans une telle démarche la complétude, celle de l’homme, pour le psychologue, du social pour l’observateur social, induit, toujours, ceci et son contraire. C’est la reviviscence du « puer aeternus… albus et ater », l’enfant éternel… blanc et noir, qui sommeille en tout un chacun et qui, aussi, ne manque pas de resurgir dans le corps social en son entier.

    L’enfant qui joue et qui détruit peut-être la figure paradigmatique de nos sociétés. Figure qui, hors de tout moralisme, rappelle ce que l’on ne peut pas expulser, le mal. Mais tout au plus jouer avec lui. C’est bien cela que les conduites à risque, les effervescences techno, les excès festifs nous rappellent. La vérité de l’homme est dans la contradiction. Ses pratiques sont toujours ambivalentes. La duplicité est structure anthropologique la plus constante. Autre manière de dire l’organicité de la vie et de la mort. La « fonction » de la souffrance est bien de rappeler qu’il y a un « pli » en tout un chacun, comme il y a de multiples « pliures » dans le corps social en son entier. Cela on ne pourra, jamais, les « mettre à plat », ôter ces « plis », expliquer (ex-plicare) toutes choses. Il suffit de le vivre. Le spectacle du malheur, les  « rites piaculaires » (Durkheim), que l’on avait cru dépassés, et qui reviennent en force, dans les divers médias, peuvent, ainsi, être compris comme le retour du refoulé d’un mal irrépressible, d’une violence fondatrice, des fantômes toujours présents.

    Va-et-vient entre l’ange et le démon, partage entre ciel et terre, nombreuses sont les expressions qui, dans le domaine artistique, soulignent l’ambiguïté de l’enfant joueur. « You walk », création du chorégraphe new-yorkais, Bill Jones, traduit bien un tel écartèlement. Il en est de même de « Rituales en Haïti » de la photographe espagnole Cristina Garcia Rodero qui montre des corps vautrés dans la boue lors de pèlerinages vaudous en hommage à l’esprit guerrier Ogu-St Jacques. Corps en extase, corps qui copulent, corps à la matérialité spiritualisée, montrant bien ce qu’il peut y avoir de sublime dans la communion à cette quintessence de l’esprit terrien qu’est la boue.

    Or, ce qui ressort d’une telle participation à l’occulte chtonien est bien une grande fraternité. La participation à ce symbole obscur de la souffrance humaine a une fonction éthique. Reliance sociétale ! Au-delà de ces deux illustrations, il y a lieu d’être attentif aux nombreuses manifestations des « archaïsmes » (au sens étymologique du terme, fondamental, premier) insistant sur la puissance du mal, du sombre, de l’animal. En bref la force du diable comme facteur agrégatif.

    S’immerger, rituellement, dans la boue pour un culte vaudou, ou fouler la gadoue dans un rassemblement techno sont les symptômes instructifs d’une sorte d’intensité existentielle reposant sur une fondamentale « accordance » aux choses telles qu’elles sont et aux autres tels qu’ils sont. Au-delà d’une conception morale du monde, « exception » occidentale s’il en est, l’acceptation de l’ombre, c’est-à-dire de la vie en sa duplicité structurelle, est une manière de faire ressortir l’aspect irremplaçable de l’existence, son aspect diamantin. Tout comme les pierres précieuses sont issues de la cristallisation d’une matière vulgaire, chaque phénomène individuel et social provient de « l’essentification » d’actes, de représentations, de rêves où le clair et l’obscur se mêlent inextricablement.

    L’accent mis sur le vitalisme montre bien que l’existence est une continuelle « transsubstantiation » dans laquelle, et grâce à laquelle, la vie et la mort ne sont pas, fondamentalement, hétérogènes, mais participent d’une même réalité. L’entièreté de l’être s’inscrit dans un tel dynamisme. Toute transformation, peut-être faudrait-il dire toute transfiguration, exige sang, boue, souffrance. C’est le sens du sacrifice, en sa dimension anthropologique : le « faire sacré » fondant le divin social.

    Face à l’ennui qui est une mort refusée ou déniée, ennui qui fut la marque de la modernité à son apogée, ennui conséquence de l’idéologie du « risque zéro », et dont on trouve les sources dans les théories de l’émancipation, face à cette tendance propre à la frilosité du monde bourgeois, le vitalisme pré-moderne qui semble être une caractéristique de la postmodernité, vit l’équilibre conflictuel des éléments opposés. Thématique quelque peu mystique de la « vie indissoluble » (Zoe Akatalytos), celle-ci ou la coïncidence des contraires que l’on retrouve chez de nombreux penseurs. Nicolas de Cuse bien sûr, mais aussi Schelling et plus récemment H Corbin, G. Durand ou E. Morin.

    Mais perspective qui est, aussi, à l’œuvre dans le holisme du « New Age » contemporain, et dans nombre de pratiques juvéniles qui, instinctivement, sans phrases vivent un matérialisme spirituel, sorte de « Geistleibliechkeit » serein faisant fi des dichotomies propres à la pensée occidentale en général, à la modernité en particulier.

    C’est un tel polythéisme des valeurs, celui des dieux, des fantômes, des icônes multiples, qui curieusement est à la base de la « surréalité » quotidienne. D’où l’intensification de l’existence, avec la recherche du qualitatif que cela ne manque pas d’avoir. Seul, le dynamisme est stable. Voilà bien ce qui semble animer l’inconscient collectif. Le dynamisme, qu’est-ce à dire sinon, stricto sensu, la force de l’impermanence dans la perdurance de l’être. Dans son entièreté aussi.

    N’est-ce pas ainsi qu’il convient de comprendre ces vers d’Oscar Wilde :
    « For he who lives more life than one
    More death than one must die ».
    Vivre plus d’une vie induit de mourir plus d’une mort. Cela est, certainement, le tragique de l’intense condition humaine. Mais c’est, également, ce qui lui donne toute sa qualité.

    Vivre plus d’une vie en y intégrant les défis du risque, du mal, voire même de la mort assumée, voilà bien l’enjeu d’une vie ardente qui est bien moins exceptionnelle qu’on ne croit. Certes, on peut voir là l’essence « dionyso-héraclitéenne » de l’existence. Essence cruelle, dangereuse, monstrueuse, mais essence, également, vitaliste. Mais, au-delà, ou en deçà d’une telle qualification philosophico-poétique, cette énergie vitale est des plus communes.

    Le quotidien, on l’a vu, est pétri des phénomènes de « double-vie », fourmille de pratiques de transgressions et se fonde, essentiellement, sur des tactiques de ruses, toutes choses lui assurant une sorte d’éternité. Toutes choses qui sont une manière de « moudre fin » l’excès, le rendant vivable et lui donnant sa fonction fécondante.

    « Soif de l’infini » dit Durkheim, d’une manière quelque peu dépréciative, à propos du donjuanisme, propension aventureuse dans l’optique de Simmel, en bref sagesse démoniaque qu’il est impossible de juguler, et qui tend à s’exprimer, avec une vigueur nouvelle, avec la saturation des valeurs modernes. Ce que celles-ci, d’essence rationalistes, et ascétiques, s’étaient employées à gommer, au mieux à marginaliser, s’affirment avec force : l’animalité, la naturalité.

    Les excès des pratiques juvéniles, leurs effervescences festives, leur désinvolture par rapport au sérieux du politique sont les indices paroxystiques d’une telle sagesse. Même l’économie est contaminée par un ludique galopant. Le phénomène des « Start up » le montre à loisir, dont l’essence consiste à « risquer gros ». Il fonctionne sur du virtuel. Dépense et consume ce que l’on ne possède pas d’une manière tangible et sérieusement rationnelle. « Jeunisme », « épiphénomènes », passagers s’écriant en cœur, toutes tendances confondues, ces observateurs sociaux ne se reconnaissant plus dans ces « vilaines petits canards » qui ne contestent même plus les grandes catégories philosophiques de leurs aînés, mais se contentent de les ignorer.

    En fait, une telle viridité, spécifique des périodes de créativité culturelle, outrepasse, et de beaucoup, une tranche d’âge particulière. Le mythe de « l’enfant éternel », dont la figure emblématique est bien l’ambigu Dionysos, contamine, de multiples manières, toutes les manières d’être et de penser. En effet, le culte du corps, le souci diététique, la déification de la nature, le syncrétisme philosophique ou religieux ou l’écologie de l’esprit, s’expriment d’une manière transversale. Mettant en jeu ce que j’ai appelé une « raison sensible », ces phénomènes, en n’abdiquant rien de l’esprit, vont privilégier l’expérience, l’interactivité, les sens humains, toutes choses constitutives de la « socialité ». Il faut insister là-dessus, la « socialité » ne saurait être réduite au « social » moderne, dominé par la raison, l’utilité et le travail. Bien au contraire elle intègre les paramètres essentiels (et minorisés) que sont le ludique, l’onirique, l’imaginaire.

    Voilà bien la « sagesse dionysiaque ». C’est une sagesse autre. C’est-à-dire une sagesse intégrative de l’altérité quelle que soit celle-ci. Fut-ce celle de l’excès, de la violence, de la « dépense » et du vertige. Ne l’oublions pas, « l’enfant du monde » d’Héraclite, « entasse les mondes pour jouer et les détruire ». La cruauté a donc sa place dans la socialité postmoderne, qui n’est autre qu’une socialité anthropologique. Une telle sensibilité à l’autre (en soi, dans la nature, dans la vie sociale) conduit à une conception élargie de la réalité. Réalité plurielle, polysémique. Réalité absolue. Celle de l’expérience et du vécu collectif.

    Expérience et vécu qui ne se limite pas à un idéal lointain, à la réalisation d’une société parfaite à venir mais, au contraire, qui tisse, en un entrecroisement sans fin, tous les affects, les émotions, les passions constitutifs de la vie de tous les jours, et ce afin de constituer le « tissu » social et naturel que l’on partage en commun. Nietzsche voyait dans le dionysiaque « l’un originaire », la quintessence du réel. Il est, en effet, possible que cette réalité complexe, alliant les contraires, souci de « l’enfant éternel », soit une sorte de « centre de l’union » ou les idéologies les plus diverses, les modes de vie hétérogènes, les coutumes les plus étranges s’accommodent les uns les autres, s’ajoutent les uns aux autres en une organicité des plus solides. Voilà bien le relativisme des valeurs, cher à G. Simmel, reposant sur l’acceptation  de tout et de tous, et sur leur mise en relation réciproque.

    Un tel relativisme est bien loin de l’individualisme, propre à la tradition occidentale, et de l’universalisme abstrait qui en est l’expression théorique. On ne se lassera jamais de le rappeler, le propre de la vie ardente, celle du dionysiaque, est son aspect collectif. Celui-ci peut être de divers ordres. Les « tribus » postmodernes sont légions. Le dénominateur commun est la participation magique à un « goût » spécifique. Cultuel : sectes, syncrétismes religieux, regroupements philosophiques. Culturel : art, musique, hobbies divers. Sportif : le nombre d’associations déclarées laisse ici rêveur. Sexuel : réaffirmation, et même institutionnalisation, des préférences et des perversions sexuelles. J’ai, déjà, signalé (Le Temps des tribus, 1988), l’importance du phénomène tribal. Sa caractéristique est un très fort « sentiment d’appartenance » qui fait, pour un moment donné, que tout un chacun communie à un « fonds » collectif. Peut-être, est-ce dans une telle perspective qu’il faut comprendre l’action terroriste qui échappe à la logique politique et renvoie à une émotion partagée.

    Il s’agit, stricto sensu, d’un « capital » qu’il convient de gérer ensemble. On est loin de la revendication à l’identité fermée, celle de l’individu indivisible, celle d’un esprit isolé. Identité primaire de l’idéal moderne, celle de l’autonomie. La gestion d’un « fonds » commun induit un mécanisme « d’identification » primordiale. Celle d’une participation au pré-individuel.

    Voilà quel est le socle du nouveau rapport à l’altérité dont il a été question. C’est cela même qui fonde une étonnante « accordance » au monde et aux autres que l’on retrouve dans la sensibilité écologique. L’environnement mondain : social et naturel, accepté pour ce qu’il est. Canonisation de ce qui est. D’où une sorte de « pathos » de la résonance qu’il ne faut pas comprendre d’un point de vue péjoratif. On vibre, on a le « feeling », on « s’éclate » avec d’autres, et ce en fonction des « goûts » dont il a été question.

    Voilà bien la thématique de l’orgiasme, celui du partage des passions, qui peut être considéré, pour reprendre une intuition nietzschéenne, comme l’écoute de la voix « qui surgit de l’abîme le plus enfoui des choses ». Fusion, confusion qui est une sorte d’écho au « plus qu’un » (G. Simondon) que la psychologie la plus lucide est obligée de reconnaître, empiriquement, dans sa pratique clinique. Ce « plus-qu’un » est, également, monnaie courante dans le monde social. Et si la sociologie, ou la philosophie dominante a du mal à l’analyser, voire, tout simplement, à l’observer, c’est parce qu’elles sont empêtrées dans ce postulat moderne qu’est la logique de l’identité.

    En fait, les identifications multiples, les communions, musicales, sportives, religieuses, au « fonds » primordial, rejouent, sans en être forcément conscientes, les pluralités d’être, marques de « l’enfant du monde » en devenir. Il est une belle formule, de F. Pessoa, qui résume bien ce propos : « king of gaps », le roi des failles. Celui qui met l’accent sur les interstices, les intervalles, en un mot le vide. « Tout entier il n’est rien qu’un gouffre dans son être ».

    Dès lors ce n’est plus la liberté, univoque et abstraite, qui est recherchée, mais bien la pratique des libertés interstitielles. Il en est de même pour l’Utopie, qui laisse la place aux petites utopies vécues. Et l’on voit bien ce que ce pluriel induit de dangerosité, ambigu qu’il est par essence. Rien n’est sûr, établi, sans risques. Tout est en devenir. D’où les expressions multiples, les essais/erreurs de toute aventure existentielle. Le bien et le mal deviennent flous. Ou, plutôt, ils s’interpénètrent. Dans le creux de l’être en devenir tout est possible dès lors que c’est occasion d’un vécu collectif.

    Au-delà de la forteresse, celle de l’esprit, de l’individu autonome, la faille permet à la personne hétéronome d’exprimer les multiples facettes de son désir. Fut-ce les plus sombres, les plus immorales, les moins conformes à son identité. Il y a là de quoi affoler les analyses sociologiques établies. Mais si, d’une manière non judicative, on repère ces dédoublements pour ce qu’ils sont : l’indice d’un puissant vitalisme inconscient, on peut y voir l’expression d’une créativité culturelle que rien ne peut arrêter. Dès lors, le « vide » de la communication verbale, l’abstention politique, la violence transgressive, l’action terroriste, le refus de l’action citoyenne, en bref l’indifférence forcenée au social, tout cela peut être considéré comme une sorte de souveraineté puisant sa force, dans la perte, dans le fait d’être rien, et donc dans l’assurance d’être en communion avec le tout, des autres et du monde.

    Expérience mystique s’il en est, et qu’il est important de prendre au sérieux. On se souvient, en effet, de la formule de Charles Péquy : tout commence en mystique et s’achève en politique. Mais si l’on pousse jusqu’au bout la logique d’une telle pensée, lorsque le politique, lui-même est saturé l’on peut s’attendre à ce que le mystique, à nouveau, pointe l’oreille. Et quoique ce ne soit pas la seule piste pour comprenette la postmodernité, s’en est une conséquente. Surtout si l’on s’accorde sur le retour de phénomènes archaïques dans cette postmodernité.

    Mystique, lato sensu, naturellement comme métaphore pour comprendre d’une part la fuite hors des institutions, l’indifférence que celles-ci suscitent et, d’autre part, pour appréhender les caractéristiques de la fusion où tout un chacun se perd dans l’altérité. Quoique ce ne soit pas l’objet central de mon propos, il faut rappeler que les pratiques mystiques, et leurs protagonistes, ont toujours été suspectés par ceux qui avaient en charge la gestion « légitime » du sacré. Très précisément parce que le point de vue mystique n’est, en rien, préoccupé par le partage entre le bien et le mal. Ou plutôt parce que le mal est considéré comme un élément structurel du donné mondain. Il est « neutre » en quelque sorte. L’important étant son usage, le bon usage (« de usu ») que l’on peut en faire.

    Nombreux sont les exemples poétiques, romanesques ou théoriques qui insistent sur ce que l’on peut résumer par le titre donné par Marguerite Yourcenar à son roman « L’œuvre au noir ». Frères du libre esprit, « fraticelli » de la mouvance franciscaine, mystiques rhénans, « béguinage », longue est la liste de toutes les hérésies, ou ce qui est réputé comme tel qui, régulièrement, défraie la chronique de l’institution ecclésiastique. Il serait instructif de comparer les révoltes et rebellions contemporaines à ce refus des experts, à la méfiance vis-à-vis de leurs savoirs abstraits et surplombants. Et ce, je le rappelle à partir d’une perspective holistique : « everything goes », « tout est bon » (P Feyerabend), chaque chose a son utilité dans une organicité globale.

    L’autre perspective, qui m’intéresse ici, davantage est celle de la « perte » du sujet pensant, disant et agissant dans un ensemble plus vaste. Un tel sujet est bien le pivot de la tradition occidentale. Il trouve son apogée dans l’individualisme moderne. Et c’est bien un tel sujet « plein », sûr de lui, qui tend à se saturer. D’où l’importance du vide, de la vacuité dans les affoulements postmodernes. C’est dans le creux qu’il y a communion, engloutissement, néantisation. Toutes catégories mystiques s’il en est !



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    M@gm@ ISSN 1721-9809
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