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  • En Quête De Mythanalyse
    Hervé Fischer (a cura di)

    M@gm@ vol.12 n.3 Settembre-Dicembre 2014

    POUR UNE AUTOMYTHANALYSE AU RISQUE DE LA SCIENCE FICTION ET DES SCIENCES OCCULTES


    Christian Gatard

    christiangatard@gatardresearch.com
    Sociologue, fondateur de christiangatard&co, Institut d’études internationales de marchés et conseil en prospective, directeur de la collection « Géographie du Futur ». Créateur et rédacteur en chef du site www.e-dito.com dédié à la création littéraire et à la recherche psychosociologique. Il dirige un cabinet de prospective.

    Du rôle des vieilles poêles

    On peut considérer les mythes comme des récits que l’humanité se raconte pour affronter les temps difficiles. C’est Frazer dans le Rameau d’Or qui le formule ainsi. J’aime bien les ethnologues un peu démonétisés comme lui. C’est dans les vieilles poêles qu’on fait les meilleures omelettes. Et puis, il y a toujours eu des temps difficiles. Et tout le monde a toujours pensé que le futur serait difficile. On a donc toujours besoin de récits. Mais comment s’en servir ?

    C’est là qu’intervient l’automythanalyse considérée instrument de navigation sur le fleuve du devenir. Les travaux d’Hervé Fischer ont montré combien la mythanalyse est un outil essentiel du jardinage de l’inconscient, engin technique spécialisé dans les grands travaux de l’imaginaire.

    Je propose ici d’adapter l’engin à ma propre course vers les étoiles mais vous allez voir que cela va pouvoir vous servir à vous aussi, lecteur.


    Navire Moche avec la Voie Lactée (Anne Marie Hocquenghem, 1987)

    La mythanalyse est l’arme absolue du Plan C.

    Ce qui mérite explication

    Dans Mythologies du futur, paru cet été dans la collection Géographie du Futur,  j’ai appelé Plan A l’invention des religions et de l’indignation.

    Ça ne date pas d’hier et ça continue de séduire les foules. Le Plan A, c’est de tout temps. C’est dire qu’il sert encore. On assiste à sa résurgence actuelle avec une certaine perplexité : depuis les vagues protestations offusquées qui envahissent les rues occidentales au fanatisme et à l’intégrisme des déserts orientaux, les foules se tiennent les coudes pour ne pas chavirer dans les mers déchaînées. On ne sait pas où on va, ni comment, mais on y va ensemble. On s’indigne, on prie, on invoque, on fait des incantations. Ça n’est pas une solution, c’est le degré zéro de la prise de conscience. Et au bout du compte, tout le monde coule ensemble.

    Il y a aussi le Plan B. On a écrit des choses très intelligentes, très belles. On a fabriqué des mythes superbes, grandioses, émouvants. Ils expliquaient tout. Ils venaient des Grecs, des Romains, des Egyptiens, des Scandinaves ou des Amérindiens. Tout ça est resté enfermé dans les malles de la connaissance et du savoir, réservé à quelques initiés qui ont piqué les clefs… clefs du coffre, clefs de compréhension. Leurs beaux discours ne sauvent qu’eux-mêmes, et encore.

    Qu’est-ce ce qui manque ? Un mode d’emploi pour soi, ici et maintenant.
    D’où le Plan C.

    Where’s the beef ?

    Il répond à la question : et moi là dedans ? C’est le what’s in it for me ? Where is the beef ?  Un peu aussi : charité bien ordonnée commence par soi-même.

    Le Plan C, c’est le moment où on se confronte soi-même aux grands récits qui se construisent… C’est ce que j’essaie de faire toucher du doigt dans mon bouquin. J’essaie de le faire sans trop me prendre au sérieux, ni prendre le monde trop au sérieux, avec cette position fabuleuse (de l’ordre de la fable) du trickster, ce fripon divin, ce petit dieu qu’on rencontre dans toutes les mythologies et qui est l’empêcheur de tourner en rond à la fois méchant et tendre…Le trickster a le rire puissant.

    Les mythologies que j’essaie de repérer sont donc des récits dans lesquels je peux trouver ma place en vue de constituer une automythanalyse qui me permettra  de répondre à la question du beef, qui est certes une question personnelle mais qui n’est pas si intime ou secrète qu’on pourrait croire. Je dirais même que la qualifier d’extime serait peut-être une bonne piste. C’est à dire fermée/ouverte, chuchotée mais distinctement audible pour peu qu’on y prête attention…

    Et tout cela n’est pas (que) personnel, ni (complètement) autocentrée. Certes  ce livre est une aventure de trois années d’écritures, de voyages, de rencontres, de découvertes. Il est aussi, comme on va le lire, perché sur les épaules d’une existence du même tonneau. Mais j’essaie tout au long des pages  de donner au lecteur un mode d’emploi pour qu’il se bricole à son tour ses propres récits. Bricoler est à prendre ici à la manière de Lévi-Strauss, (qui est plus en odeur de sainteté que Frazer) : confectionner un objet matériel qui est aussi objet de connaissance…

    Le Plan C dans une automythanalyse

    Dans les mythologies du passé, les récits parlent de l’histoire humaine dans laquelle l’individu n’est qu’un maillon dans une chaîne infinie de contes et de légendes – il n’en sait rien, il n’en est pas conscient. Dans les mythologies du futur, c’est pareil, l’individu n’est qu’un maillon … mais il le sait, il en a pris conscience ! La rupture, c’est la prise de conscience. C’est prendre les rênes du devenir, se mettre dans le poste de pilotage. Tout en acceptant cette idée que nous ne faisons que prolonger l’histoire humaine, dans laquelle nous ne sommes qu’un maillon (là-dessus, rien n’a changé) mais le fait de le savoir change notre rapport au monde. Nous pouvons piloter l’avion-humanité… ou du moins est-ce là un des grands mythes du futur - la balle est dans notre camp… Cette idée est typique d’un de ces récits qui permet d’affronter des temps difficiles.

    Matière première d’une automythanalyse

    Des écrivains de Science-Fiction sont en conclave sur les hauteurs d’un village de Haute-Provence. Des fermiers bio fêtent le solstice dans le Colorado. Des femmes-shamans-artistes d’avant-garde me fixent à Shanghai. Des créateurs d’imprimantes 3D me fêtent en brousse au Togo. Des mariés en fleurs en Normandie m’émeuvent aux larmes. Une jeune fille new-âge à Mexico arbore fièrement un tatouage de Xochiquetzal, la déesse aztèque de l’amour et de la beauté́, protectrice des artisans, des prostituées et des femmes enceintes. Les troubadours de l’occulte de la Demeure du Chaos à côté de Lyon triomphent avec la même aisance à Wall-Street [1].

    De qui s’agit-il ?

    Des tribus rencontrées dans mes voyages. Elles se glissent dans mon Plan C sans vergogne.

    Ces gens plus ou moins bien élevés, plus ou moins énervés, mais tous sublimes à leur manière, ont leur place dans une approche mythanalytique – dont on sait qu’elle a pour but de comprendre le présent et de se préparer au voyage vers le futur.

    Ces gens sont les témoins les plus récents d’un travail entamé il y a des années.

    Les origines d’une automythanalyse

    Tout a commencé par un mémoire de maîtrise sur Christopher Marlowe et l’ésotérisme élisabéthain. J’y découvris l’Ecole de la Nuit, une société secrète à laquelle appartenait, dit la légende et c’est peut-être vrai,  Shakespeare, Sir Walter Raleigh, John Dee… bref la crème de la crème en matière de fantasmes historiques, littéraires, politiques, occultes et passablement sataniques. Pour mener ma rédaction à bien il me fallait aller au-delà de l’expérience livresque. Déjà s’installait le dispositif d’une automythanalyse qui ne disait pas encore son nom : la conversation avec les morts – ou disons pour ne pas faire macabre : avec les Anciens ; la conversation avec les vivants : l’expérimentation du monde [2].

    Serge Hutin. Occultiste sulfureux

    Je l’ai rencontré dans sa petite maison de la Haye-les-Roses, perdue au fond d’un jardin abandonné aux ronces. Une escouade de chats y était gouvernée par sa mère grabataire. Un parfum de misère souriante y régnait et le petit homme à la célébrité invisible se consumait doucement. Serge Hutin était un auteur mythique pour les amateurs d’alchimie, de gnose et autres secrets de l’univers. Lui et sa mère crevaient de faim. Je n’ai pas souvenir que la communauté ésotérique lui soit beaucoup venue en aide. Quoiqu’il en soit j’avais une vingtaine d’années  et j’étais ravi. Le pittoresque et le pathétique donnèrent du piment à cet étrange après-midi. Il me semblait que je découvrais un village abandonné perdu dans le temps et l’espace, un monument rongé par l’oubli des hommes qui n’ont pas su le conserver, un vieux sage trop usé et trop stoïque perdu dans sa connaissance infinie d’un tout petit bout de la Grande Connaissance des Choses.

    Il m’indiqua quelques pistes mais c’est le bonhomme lui-même qui était fascinant. Il était un puits de science, et dans ce puits il s’était enfoncé et sans doute noyé, laissant les autres s’y abreuver. Au fond du puits l’homme impécunieux s’était perdu. Une recherche sur son nom dans Wikipedia [3] ne le ménage pas. L’occultisme peut être un jeu dangereux qui enivre et provoque un délire interprétatif jouxtant les théories du complot et les pratiques magiques les plus saugrenues. Mais c’est précisément de cela qu’il faut s’emparer dans la mythanalyse. Explorer les thèses les plus improbables et s’en servir de balises pour aller plus loin.

    René Alleau. Hermétiste triomphant [4]

    Il est peut-être moins utile de le présenter, encore que… Il était le plus éminent spécialiste de l’histoire de la pensée symbolique et des sciences hermétiques.J’ai retrouvé un entretien avec lui sur le site QUESTION DE datant de 1976, à peu après l’époque où je l’ai rencontré chez lui boulevard Voltaire.

    L’«occultisme», dit-il, a été l’une des sources majeures du romantisme, C’était une compensation aux excès du « scientisme » desséchant des académies et des universités bourgeoises.
    Il le demeure encore à notre époque, mais ce phénomène psychosociologique a pris des formes assez différentes de celles du siècle dernier parce qu’il est devenu économiquement rentable grâce à l’exploitation organisée de la crédulité publique. Je crois inutile d’ajouter que les sciences hermétiques traditionnelles n’ont aucune place dans une société de consommation telle que la nôtre. Tout ce qui se débite à la tonne sous le nom d’astrologie, par exemple, n’a pas le moindre rapport avec l’hermétisme ésotérique et initiatique de l’« art des étoiles ». Quant à l’alchimie et à la magie, étant moins aisément exploitables, elles ont été aussi moins compromises et elles ne sont pas encore tombées au niveau des jeux de salon, comme les horoscopes.

    Cet article repris en 2010 dans le site 3ème millénaire faisait une mise au point capitale sur l’«occultisme», les modes de connaissance oubliés (non pas fossiles mais hibernants, non pas morts mais silencieux) et les surprises possibles du futur

    SF/SO - 1

    Cette dernière phrase visait la convergence entre science-fiction et  sciences occultes.

    A cette époque je fus nommé lecteur de français à l’Université de Séoul. La Corée du Sud était encore un pays rustique et troublé. Les révolutions de palais éliminaient ses présidents à la mitraillette dans les couloirs. L’exotisme ouvrait les esprits et Séoul allait basculer dans la  modernité. C’était l’endroit rêvé pour devenir ce qu’on allait être.

    Un ami américain du Peace Corps me proposa de lire Dune de Frank Herbert. Il n’en fallut pas plus pour que les braises s’enflamment.

    De retour à Paris, à Jussieu, en 1973/74, je proposai à Jacques Goimard, grand gourou de la SF de l’époque et jusqu’à sa mort, il n’y a pas si longtemps, d’être mon directeur de thèse – cela devait s’appeler Étude sémiologique comparée de Sciences Fictions et de Sciences Occultes. L’idée lui avait plu. La même année j’étudiais de guingois en Socio à la Sorbonne, je faisais des traductions de bouquins de psychanalyse pour Calmann-Lévy et le dimanche je bouclais mes fins de mois comme lecteur des manuscrits qui leur étaient proposés en anglais. Je m’étais pris de sympathie pour l’ésotérisme à la Abellio, je lisais Fulcanelli en visitant les cathédrales et je sympathisais avec quelques mages parisiens comme Jean Carteret que j’évoque dans mon bouquin. Carteret était un mage des dialogues avec l’invisible. J’avais entretenu avec lui une relation épisodique, quand il nous recevait autrefois dans sa chambre de bonne, rue de La Tour-d’Auvergne, à Paris. J’entendais ensuite parler de lui jusque dans les milieux chics de Corée du Sud, dans les années 1970. L’ami qui me le fit connaître lui consacra dix émissions sur France Culture. Raymond Abellio le considérait comme un frère. L’astrologie, l’ésotérisme, l’alchimie n’avaient aucun secret pour lui... ou plutôt, pour éviter les pièges de cette formule convenue, leurs secrets lui coulaient dans les veines. L’abyssal savoir de Carteret sur l’occulte faisait de lui un frère jumeau de Shé un de mes personnages dans Mythologies du Futur.  Dépenaillé, hirsute, ne sentant pas très bon... les humeurs de Carteret nous rapprochaient de la terre même et nous enivraient.

    Mais le glas avait sonné pour ma thèse. Il a fallu bosser vraiment et j’ai répondu à une petite annonce du Monde : une boite d’études de marché cherchait un collaborateur. J’ai été engagé dans la journée! Les temps ont changé.

    Je n’ai pas revu Goimard ni les bancs de Jussieu mais mes bouquins, chacun à leur manière,  ont été surplombés par  cette sorte de monde perdu qu’est mon sujet. Un peu comme si dans chaque livre je faisais plus ou moins consciemment des tentatives d’explorations, je repérais des sentiers vers des terra incognita, comme si des bribes d’informations me parvenaient de ces territoires mystérieux et pourtant familiers.

    Mes romans explorent un réalisme fantastique mâtiné de mythologies, de magies et d’aventures tropicales, mes essais sur les mascarons, ces têtes de pierre qui ornent les porches et les façades, évoquent les peuples des têtes coupées, ce qui prend de nos jours une effroyable actualité. La folie du monde nous surplombe encore… les Chinois décapiteurs de Tintin dans le Lotus Bleu hantent le monde…

    Va-t-on perdre tout espoir de garder la tête sur les épaules ?

    Sauver Icare sans Goimard

    C’est le récit que propose la SF pour naviguer dans le futur : il s’agit de sauver Icare et reprendre le contrôle de l’avion-humanité. Tout un pan de la SF va prendre un coup de vieux. La dénonciation avait été́ son fonds de commerce. Des milliers de bouquins en diatribe contre l’état du monde, assoiffés de têtes à couper, s’indignant devant l’histoire de l’espèce, pleurant la déforestation d’Éden...

    Mais ce pessimisme a fait son temps.

    Nous sommes partis pour une ère d’énonciation, de construction, d’élaboration grâce à la copulation féconde entre technique et spiritualité́. Tournant ascendant de la spirale. On va souffler un peu. Sans illusion sur le cycle suivant et sur un retour de flammes. Mais on aura fait un pas avec l’espèce humaine, participant d’elle... C’est Ugo Bellagamba, auteur de SF, qui me le confirme, à Nantes, aux Utopiales dont il est le conseiller artistique.

    Vous vous souvenez, cher lecteur, d’avoir lu plus haut ma conviction sur  l’importance de la conversation.

    Les Utopiales, me confie Ugo, est le centre toujours renouvelé́, toujours reconstruit, toujours déplacé́, de la toile tissée par les réactions en chaîne du principe qui les unit: garder les esprits en éveil. Il règne aux Utopiales une bonhommie pleine d’énergie, et je me promène d’un espace à l’autre fasciné par ce laboratoire où les conditions d’existence futures sont repensées avec enfin un peu d’espérance. J’y côtoie le gratin de la SF mondiale, entre cabots narcissiques qui se pâment devant leurs noms sur une couverture de magazine (ceux-là̀ gardent curieusement une vision pessimiste, comme si c’était un fonds de commerce encore un peu rentable) et auteurs de génie plus modestes – ils ne sont pas nécessairement tous particulièrement réjouissants, remarquez, mais la lecture que Yannick Rumpala fait de Ian M. Banks est encourageante. Manque de chance, ce dernier vient de mourir. Les règles du jeu du monde ancien ont bien toujours cours (l’immortalité n’est pas pour aujourd’hui) et servent de plate-forme au départ de futurs bien décidés à garder à la nature humaine une place humaine. Entre les conférences, je passe le plus clair de mon temps à boire des coups avec Norman Spinrad, auteur de SF culte, et son petit bout de femme délicieusement extraterrestre. J’y rencontre les acteurs de l’histoire suivante, de l’enquête suivante, de mon futur immédiat.

    SF/SO – 2 –  Comment ça marche ?

    Les forces centrifuges et centripètes que je convoque comme clé de lecture dans Mythologies du Futur sont en action. Les Sciences Occultes sont évidemment animées par l’énergie centripète et la Science-Fiction par l’énergie centrifuge…. Les Sciences Occultes? Le vieux mage est penché sur son grimoire, l’assistant naïf observe l’alambic – ils sont concentrés sur quelque chose qui se passe à l’intérieur; la SF, elle, regarde vers le cosmos – les forces centrifuges sont en action. Les fusées s’envolent vers les civilisations exotiques. Les Sciences Occultes recherchent dans le passé l’insondable secret du monde; la SF cherche dans l’avenir, l’explore à tout va. Et puis une fois dépassés ces stéréotypes convenus, une imbrication se dessine : quelque chose relie les deux forces, les deux univers, les deux thèmes. Ils partagent des secrets. Le premier d’entre eux a été dévoilé depuis un moment: l’équivalence du microcosme et du macrocosme. Tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas.  Le second est dans les livres d’images: les mages regardent vers les étoiles … ( i-MAGES ? ) et décryptent le sens des choses, des événements et des émotions. C’est le principe même de la Lettre dérobée de Poe ; c’était là  devant nous, tellement invisible, tellement évident! Toujours dans cette idée de secret qui n’en est plus un, mais qui me fascine: les techniques médicales d’exploration du corps (radio; IRM, etc…) n’ont rien à envier à celles qui permettent l’exploration du cosmos ( Hubble, Palomar…). Elles repoussent chaque jour les limites de la connaissance. Elles les repoussent mais ne les abolissent pas. Les savants du centripète et du centrifuge (corps médical/ corps astronomique) confessent la même humilité et la même admiration – tout reste à découvrir.

    Dans le Plan C – qui est une façon de sortir des visions politiquement correctes en introduisant l’idée que c’est en soi, en soi-même – dans un rapport d’échanges fertiles avec le monde réel et l’imaginaire – que l’on trouvera les solutions, dans le Plan C, donc, il y a les shamans et leurs pouvoirs. Il faut partir à la rencontre de ces shamans, dont le premier avec qui on doit converser est celui qui est en soi. Sans narcissisme, nombrilisme, ni vanité. Ce qui me plait dans cette idée, au fond profondément classique, de partir de l’individu, c’est qu’elle est aussi relativement intemporelle. L’homme y est à la fois le centre et la circonférence, à la fois dedans et dehors, unique et multiple, force centrifuge (à la recherche des ressources du macrocosme) et force centripète (à la recherche des ressources du microcosme). Suivez mon regard : on n’est pas loin de l’ésotérisme et de l’alchimie, en pleine partie fine avec la science-fiction et la théorie des cordes. Autrement dit avec des concepts en rupture, pas forcément bien compris (pas plus par moi) mais qui portent en eux la fièvre de ce ré-enchantement qu’on évoque.

    Entre la SF et les SO, c’est bien le fantastique considéré comme une pratique d’existence qui opère.

    L’automythanalyse et la prospective

    La prospective buissonnière et peu académique que je pratique s’abreuve à des sources risquées. Niagara de l’esprit là-bas, ruisseaux bondissants par ici, je patauge avec délices dans les bassins sémantiques que ces eaux alimentent. Croisements fertiles entre science-fiction, sociologie du présent, exploration des textes ésotériques, voyages, ethnographie du réel, un bon principe de réalité ancré dans une négociation permanente avec les entreprises que je conseille et qui me rémunère, avec les publics hétérogènes qui viennent à mes conférences/performances, un solide principe de plaisir que les conversations seules autorisent.

    Je ne crois pas que du passé nous fassions - ni ne puissions - faire table rase, pour reprendre le vieux cliché. Je ne crois pas que le monde qui vient soit en rupture radicale avec un « monde d’avant » qui serait en voie de disparition définitive, comme si on pouvait inventer une ère nouvelle qui n’ait aucun héritage. Je crois, ou plutôt je constate, que ce « monde d’avant » s’accroche et n’a pas l’intention de se laisser débarquer de l’histoire de l’espèce. Les mutations en cours gardent des traces inexpugnables de passés plus ou moins récents. Précisément en ce moment les  commémorations, anniversaires  et autres souvenirs plus ou moins solennels cherchent à exorciser des passés en mille-feuilles, à extirper de l’Histoire des  enseignements pas forcément idiots, des  leçons parfois utiles, des morales, elles,  plus ou moins hasardeuses. Plus que jamais nous puisons dans des cultures ancestrales pour essayer de donner du sens à notre époque. Nous sommes comme l’espèce humaine l’a toujours été : dans une continuité.

    Thomas Michaud [5] fait un fascinant parallèle : les auteurs de science-fiction percevraient (peut-être) le futur car ils seraient victimes de délires schizophréniques qui les plongeraient dans des hallucinations pendant lesquelles ils perçoivent des éléments de la société future. « Cette conception est inspirée, dit-il, par les croyances relatives aux déclarations des oracles et des prophètes de l’Antiquité ». Il écrit aussi que la science-fiction cristallise des représentations du futur produites par l’inconscient collectif. Il parle d’inconscient prophétique. Superbe expression. Il propose une comparaison entre l’alchimie et la science-fiction: la SF contribue à l’innovation technoscientifique à l’époque contemporaine de la même façon que le faisait l’alchimie, cet imaginaire des profondeurs: «La science-fiction est à l’avant-garde mythologique des mutations actuelles. »

    Les temps qui viennent biberonnent déjà  à la science-fiction et aux sciences occultes

    Une nouvelle génération hybride de savants et d’artistes est en train de s’emparer des secrets de l’univers. On ne sait pas encore tout à fait comment les nommer, ces nouveaux découvreurs : sapiteurs ? aventuriers de l’éventuel ? geeks théosophiques ? Ils sont inspirés par leur maitrise de la technologie, ils sont sensibles aux nouvelles formes de spiritualité, ils explorent la matière calculée avec un regard émerveillé. Ils intègrent la complexité du monde et métissent leurs savoirs et leurs intelligences. Ils nous laissent parfois (voire souvent) un peu béats devant leur virtuosité. Qui comprend vraiment la mécanique quantique ?  Heureusement on a des Etienne Klein comme passeurs. Qui comprend ce qui se découvre dans le cerveau ? Heureusement on a des Rémi Sussan comme guide. Ils se donnent comme objectif une double promesse. Le contact avec les secrets de l’univers, d’une part, l’infiniment grand, le cosmos. Le contact, d’autre part, avec  ceux de l’infiniment petit, le nanomonde, l’échelle atomique et moléculaire.  Voilà deux scripts prometteurs en émotions, en sensations, en sidérations. Le 21ème siècle ne va pas cesser de nous étonner : l’attente, la recherche et l’avènement de ces deux jonctions avec des univers inconnus vont bouleverser notre compréhension du monde ou à tout le moins notre regard sur lui : l’infiniment grand et l’infiniment petit, c’est une aventure aux confins du savoir, de la technologie et de la philosophie.

    De quoi ces contacts sont-ils le nom ? De la puissance de la curiosité à explorer l’au-delà des frontières de la connaissance, quels que soient les risques. La recherche du point de contact avec l’inconnu, nouvelle frontière toujours repoussée, est le défi de ces risque-tout du futur.

    Quels imaginaires suscitent-ils ?

    L’imagination centrifuge, la jonction avec les étoiles, le contact avec les extra-terrestres : science-fiction optimiste

    L’imagination centrifuge ?  C’est celle qui nous porte vers un ailleurs. Elle nous entraine hors de notre sphère immédiate. Elle nous fait voyager.

    Les extra-terrestres ? La Science-Fiction en a fait un genre à part entière. Hollywood l’a incarné tant et plus. La question n’est pas ici de savoir s’ils existent (ce qui est une hypothèse excitante néanmoins) mais de se pencher quelques instants sur ce qu’ils disent de nous. Le motif est connu et répliqué dans l’Histoire : apparitions d’anges et de vierges pures, OVNI, poltergeists… Que tout ceci soit de l’ordre de l’inconscient collectif (hallucination collective pour C.G.Young et les soucoupes volantes) ou de l’effet psi (action de la pensée sur la matière pour O.Costa de Beauregard), à chaque occurrence il s’agit d’un contact avec du nouveau, du curieux, de l’imprévu, pensé comme une intervention d’un autre radicalement autre… Si les extra-terrestres arrivent nous serons les indigènes voyant débarquer Colomb aux Amériques, ou les papous des années 30 apercevant l’australien Michael Leahy dans la jungle de Nouvelle-Guinée.

    Des futurologues avisés estiment qu’en cas de premier contact avec une civilisation extraterrestre les porte-paroles de l’humanité toute entière devront être les artistes et les philosophes bien avant les militaires et les politiques.

    Si la prospective a quelque chose à nous apprendre, c’est qu’on a intérêt à s’entrainer pour accueillir ce genre d’évènements. En invitant les artistes et les philosophes dès aujourd’hui à nous apprendre à négocier avec l’imprévisible, on apprendra peut-être à se réconcilier avec l’alien qu’est la figure de l’étranger,c’est à dire, par les temps qui courent, à peu près tout le monde. Imaginer des scenarios de contact avec les extra-terrestres c’est peut-être se préparer à vivre ensemble d’une façon à peu près décente avec nos frères humains. Ça fait un peu grandiloquent mais ça mérite qu’on y pense un moment. Quand ils arriveront on sera prêt. Il semble qu’il y a urgence.

    L’imagination centripète, la jonction avec notre génome, le contact avec le nanomonde :  sciences occultes high tech

    Rémi Sussan dans Frontière Grise [6] actionne l’imagination centripète qui nous fait voyager à l’intérieur du cerveau, dernier territoire humain inconnu.

    De quelle sorte de contact s’agit-il ici ?  De la redécouverte de soi, de la façon dont l’homme se perçoit et va (peut-être) se réconcilier avec ce nouveau continent qu’on découvre peu à peu : soi-même. Belle machine. Belle aventure. Il ressort de la lecture de ce livre vertigineux que la connaissance toujours plus approfondie des mécanismes du cerveau va permettre d’obtenir une meilleure connaissance de soi, une possibilité d’améliorer son potentiel, de surfer sur son propre code génétique et… devenir meilleur ! Il y a plein de bonnes nouvelles : la connaissance de plus en plus fine du fonctionnement du cerveau, le contact de plus en plus rapproché avec la matière première de l’intelligence ne donnent finalement pas le sentiment (qu’on pouvait redouter) que les neurosciences vont tout comprendre de nos comportements, ni vont réussir à ce que nos valeurs s’ajustent à celles des entreprises ou des marques qui voudraient prendre le contrôle de notre moi intime. La matière au fond de la boite (crânienne) est plus rusée… tout comme au fond de la boite (de Pandore) l’espoir est resté caché. Avec les nouveaux medias, les jeux vidéo, les réseaux sociaux – et toutes les NBIC (nano, bio, informatique, cognition) – les structures que notre cerveau possède depuis la préhistoire – et qui à l’époque servaient à éviter les bêtes sauvages et la famine – vont reconfigurer le cerveau et le préparer à affronter une ère nouvelle. Nous allons entrer en contact plus intime avec le VTMA2 (le gène de Dieu, celui qui favorise les expériences religieuses – les neurothéologiens qui pensent l’avoir découvert n’ont peur de rien !)  et cela ne retirera rien aux croyances. La découverte de la molécule de l’empathie par Paul Zak, l’ocytocine, que l’on peut consommer en spray et dont  la conférence sur Ted fait fureur, laisse, elle, un peu pantois. Un pschitt pour aimer l’humanité ? Ça va plus vite que 2000 ans de christianisme qui, malgré ses promesses, n’a pas encore fait ses preuves ; mais on reste un peu dubitatif.  On a  plus envie de croire à l’infiniment petit de la biologie synthétique qui va créer des formes inédites d’énergie et nous faire vivre dans des maisons qui pousseront à partir de graines … ce qui est une forme de contact retrouvé avec la nature et les alchimistes du Moyen-Age.

    Le cerveau droit créatif, jovial et artiste va reprendre du service après le règne sans partage du cerveau gauche, celui des process, des traders et des décisions dictées par l’intelligence artificielle. Même si cette vision de la localisation des deux cerveaux est aujourd’hui controversée,  elle rappelle l’opposition entre Dionysos (côté droit) et Apollon (côté gauche). C’est évidemment une simplification mais il est parfois utile de simplifier les choses dans un monde de plus en plus complexe. D’ailleurs, soit dit en passant, quand Dionysos se décidera à reprendre contact avec Apollon, le monde marchera peut-être sur ses deux pieds.

    A l’encontre de craintes plus ou moins diffuses sur le risque que le cerveau soit manipulé par des nouvelles technologies intrusives, avides de nous mettre aux ordres, on sort de la lecture du livre de Rémi Sussan avec le sentiment que le contact avec notre moi profond physique et spirituel nous ouvre des portes sur des univers au moins aussi impressionnants, vertigineux et excitants que ceux qui sont au-dessus de nos têtes. On a le sentiment d’avoir en main les clés pour réussir l’avenir. Au fond la dopamine et la sérotonine c’est comme du bon vin, il ne faut pas en abuser.

    Ai-je fait la jonction entre une science-fiction optimiste et des sciences occultes revisitées « high-tech », entre forces centrifuges et centripètes, entre mythologies d’autrefois et mythologies du futur ?

    Ne s’agit-il pas simplement de garder le contact avec le réel et l’imaginaire ? Le contact avec les extra-terrestres et les secrets du cerveau incarne de nouvelles frontières. Un imaginaire d’ouverture qui symbolise des promesses enthousiasmantes, des voyages sidérants.  Peut-être une métaphore performante et performative  pour les temps qui courent.

    Notes

    [1] Car s’ils pratiquent la magie noire la nuit, ils répondent, le jour, à des entrevues dans le Financial Times et tout se passe bien.

    [2] Je vais y revenir parce que la pratique de l’automythanalyse ne se limite pas à ces deux modes conversationnels. Ou plutôt elle s’en contentait à l’époque, mais l’arrivée du Web a modifié les choses.

    [3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Hutin.

    [5] https://www.marsisme.com/.

    [6] Qui vient de paraître aux Editions François Bourin.



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    M@gm@ ISSN 1721-9809
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