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  • Comprendere l'utopia: quale(i) utopia(e)?
    Georges Bertin (dir.)

    M@gm@ vol.10 n.3 Settembre-Dicembre 2012

    L'UTOPIE DE L'ESPACE ARTISTIQUE ET SOCIAL : TRANSFORMER LES CONSCIENCES PAR L'ART


    Orazio Maria Valastro

    valastro@analisiqualitativa.com
    Docteur de Recherche en Sociologie IRSA-CRI (Institut de Recherches Sociologiques et Anthropologiques - Centre de Recherche sur l'Imaginaire), LERSEM (Laboratoire d'Etudes et de Recherches en Sociologie et en Ethnologie de Montpellier), Université "Paul Valéry" Montpellier; Maîtrise en Sociologie, Académie de Paris "Sorbonne", Université René Descartes Paris V; Fondateur et Directeur Scientifique de la revue internationale en sciences humaines et sociales "m@gm@" et de la Collection des Cahiers de la revue m@gm@ publiés par l'éditeur Aracne de Rome; Président Association "Les Etoiles dans ma Poche", association de volontariat reconnue Loi n.266/1991 et inscrite dans le répertoire général de la région sicilienne dans la section socio-culturelle et éducative.

    L'utopie qui prend corps : éducation esthétique et pédagogie symbolique

    Monument pour un Poète Mort (1989), Tano Festa (Roma 1938 - Roma 1988), Parc d'œuvres monumentales Fiumara d'Arte, Villa Margi - Reitano (Messina) : la première œuvre du Parc Fiumara d'Arte, dédiée par l'artiste à la mémoire de son frère, une fenêtre géante sur la mer de dix-huit mètres en hauteur, un tableau de beauté universelle accompagnant le regard sur l'infini (source : Fondation Fiumara d'Arte).

    J'ai rencontré Antonio Presti [1], président de la Fondation Fiumara d'Arte, pendant l'été 2011 à l'Art Hotel - Atelier sur mer [2], situé à Castel di Tusa dans la province de Messina. Notre entretien s'est déroulé devant la mer de la côte nord occidentale de la Sicile. Nous avons discuté des projets et des activités de la Fondation au service de l'utopie : donner corps à l'utopie moyennant l'art pour éduquer la communauté à la beauté, cette utopie qui prend corps depuis 1982 en Sicile, pour la transmettre comme futur à un réseaux d'utopistes et aux prochaines générations. Voici quelques thème abordé et pertinents avec la problématique qui fait l'objet d'un numéro de M@gm@, sous la direction de mon ami et collègue Georges Bertin, consacrée à la compréhension des utopies contemporaines.

    Discours et pratiques de l'utopie relèvent ici d'un dénominateur commun recouvrant un élément thématique transversal, l'expérience émotionnelle du voyage comme purification par le rêve de l'art en terme de valeurs éthiques. L'utopie donnant forme aux espaces de la conscience humaine pour concevoir le projet d'un monde meilleur (Paul-Augustin Deproost, Bernard Coulie, 2002), s'ébauche par le don des œuvres d'art d'Antonio Presti bouleversant la condition des lieux et sollicitant, en 2006, la reconnaissance institutionnelle de Fiumara d'Arte [3] en tant que Parc d'œuvres monumentales et patrimoine artistique de la région Sicilia. Le sens du voyage dans l'espace-temps-utopique des œuvres du Parc Fiumara d'Arte, nous le retrouvons dans la réalisation de l'Art Hotel entamée en 1990, l'Atelier sur mer conçu en tant que musée permanent d'art contemporaine. Vivre dans une œuvre d'art, la jouissance des chambres réalisées par des artistes, sollicite un parcours orientée par des suggestions et des images. L'éducation à la beauté par le voyage, à partir d'un ensemble commun de schèmes fondamentaux articulant un processus utopique s'apparentant à une quête, s'accompli avec les rites de la lumière inaugurés en 2010, étayant l'expérience esthétique partagée d'états émotionnels. Rendre hommage et célébrer la lumière chaque année par les rites des solstices d'hiver et d'été, dans l'espace-rituel-utopique des œuvres d'art du parc de Fiumara d'Arte et les espaces urbains transposés en espaces utopiques vouées à l'éthique de la beauté, attribue une centralité aux états émotionnels dans la jouissance des œuvres d'art. Le voyage de purification dans la couleur de la lumière et la pureté intérieure, accueille ainsi le rite pour restituer conscience et sensibilité, sens et altérité.

    L'éducation esthétique en tant que discours et praxis utopique de transformation des femmes et des hommes à l'encontre de leur idéalité immanente - l'expérience de la contingence et du caractère non définitif du monde - et transcendante - engageant universellement une existence éthique inspirée par la beauté - caractérise ainsi le thème du voyage de purification par la dévotion à la beauté. Les fonctions esthétiques de la relation par l'œuvre d'art entre l'artiste et son public, jouissant de l'expérience éducative par la création artistique, sollicitent la formation de la sensibilité et le développement de la pensée sensible (Lemonchois, 2003). Dans la rencontre avec l'œuvre d'art nous pouvons faire l'expérience de la beauté et vivre d'autres mondes possibles (Vattimo, 1990, p. 20). L'expérience de la Fondation Fiumara d'Arte nous interroge ainsi autour des valeurs de beauté que nous éprouvons et nous accordons à l'expérience sensible des œuvres d'art, inscrivant notre réflexion dans une approche sociologique de l'esthétique (Simmel, 2007) nous conduisant à comprendre le discours et la praxis de l'utopie. Cette utopie qui prend corps dans l'éducation par l'esthétique (Schiller, 1943), conciliant le sentiment et l'éthique dans l'accomplissement de la beauté.

    L'éducation par l'esthétique dans la jouissance de l'œuvre d'art rétablit une pédagogie symbolique (Bertin, 2006 - 2010), éduquant par l'art à l'énergie universelle représentée par la dévotion à la beauté : inspiration à un faire utopique vivifiant un nouvel état social et culturel s'opposant au néant qui travaille cette société, consumériste et matérialiste, par l'accompagnement symbolique des rites de la lumière hélant l'accès au régions de la connaissance spirituelle. Quelles sont ainsi les caractéristiques du discours et de la praxis utopique faisant l'objet de notre réflexion autour des utopies contemporaines ? Ce n'est que par une analyse des marqueurs spécifiques de l'utopie (Sfez, 1995 - 1999/2000 - 2001 - 2002), les trais communs dégagés par Lucien Sfez structurant la condition nécessaire de toute analyse portant sur les utopies, que allons saisir les discours et les activités de la Fondation Fiumara d'Arte.

    De l'espace-temps-utopique à l'espace-rituel-utopique : l'expérience d'un voyage émotionnel de purification

    38ème parallèle - Pyramide (2010), Mauro Staccioli (Volterra 1937), Parc d'œuvres monumentales Fiumara d'Arte, Motta D'Affermo (Messina) : la dernière parmi les dix œuvres du Parc Fiumara d'Arte, symbole de l'illumination des consciences, a inauguré le rite de la lumière des solstices d'hiver et d'été depuis 2010 (source : Fondation Fiumara d'Arte).

    L'expérience esthétique reliant l'art et l'éthique, imaginée et réalisée pour être vécue comme un voyage à la découverte de l'origine de la pureté et des valeurs de l'âme, nous permet de considérer deux premiers marqueurs, parmi les cinq dégagés par Lucien Sfez, caractérisant la forme des récit utopiques : le lieu isolé de l'intrigue et les règles de vie hygiéniques.

    L'isolement insulaire révèle un espace préservée de toute contamination extérieure, établissant une localisation du récit utopique. Les œuvres monumentales du Parc Fiumara d'Arte, installées dans un lieu vierge de toute forme urbanistique antérieure ou imposant leur matrice à l'organisation de l'espace (Rasse, 2003), déploient la création artistique comme ouverture sur un autre monde possible. L'isolement constitutif de l'œuvre d'art (Vianu, 2001, p. 113), découlant de la valeur esthétique comme fin en soi soustraite aux événements du monde, est converti par la localisation de l'espace artistique étayant l'expérience du voyage comme exploration d'un espace-temps-utopique décelant un nouveau rapport à soi et au monde. L'œuvre d'art, circonscrivant un espace artistique, préside aux expériences esthétiques éduquant à la valeur émotionnelle de la beauté pourvoyant une valeur éthique. Les artistes chargés par le président de la Fondation Fiumara d'Arte de relier par le rêve de l'art l'âme des femmes et des hommes, vont adhérer à la devise de la dévotion à la beauté, envisagée en tant que respect de la dignité humaine, soutenant l'expérience d'un voyage émotionnel dans l'espace-temps-utopique pour expérimenter la faculté d'être beaux et sensibles au changement par la beauté.

    Le musée à ciel ouvert, le Parc d'œuvres monumentales de Fiumara d'Arte, est ce parcours imaginé par Antonio Presti, symbolisant la continuité entre la vie et la mort par le biais de l'art contemporaine. L'espace artistique, cet espace-temps-utopique dans lequel a lieu le voyage émotionnel des visiteurs, accompagne par le rêve de l'art à faire l'expérience de l'esthétique comme expérience de nous-mêmes et de notre relation avec le monde. Le Labyrinthe d'Arien (1990) réalisé par Italo Lanfredini (Sabbioneta 1948) représente, avec les autres dix œuvres du Parc Fiumara d'Arte, la localisation d'un parcours dans l'espace défini par l'œuvre d'art. Cet espace-temps-utopique, par exemple, affirme la valeur de la connaissance par le biais du parcours au sein du labyrinthe, témoignant du choix entre le bien et le mal étayant la valeur de l'appartenance et de la paix, symbolisé par un olivier situé au centre. L'accès au labyrinthe, symbolise une grand-mère, symbole féminine de la naissance, amorçant un parcours initiatique à spirale, s'éloignant et s'approchant à plusieurs reprises de la porte d'entrée. Le voyage de connaissance fondé sur le double lien entre le bien et le mal, sur l'harmonie et l'unité, s'accompli à la sortie renaissant par cette grand-mère, découvrant le minotaure gisant au fond de nous-mêmes, ce monstre qui est notre double. Le voyage émotionnel, clef de l'espace-temps-utopique des œuvres du Parc Fiumara d'Arte, est borné ici à l'expérience esthétique des chambres réinventée par les artistes avec la création de l'Art Hotel. Le voyage est ici envisagé moyennant les étapes émotionnelles auxquelles peuvent s'abandonner les personnes que vont séjourner dans les chambres : espaces sécurisants et isolés de l'extérieur, arrachant un fragment à la continuité infinie de l'extérieur, espaces médians circonscrits et médiateurs avec l'infini (Simmel, 1988).

    Le deuxième marqueur, les règles de vie hygiénique, exige la pureté, la pureté de l'âme dans l'expérience du voyage émotionnel en tant que voyage de purification. La dévotion à la beauté, engagement culturel, moral et éducatif, engendre un récit de sauvegarde du monde ravitaillant l'espace-temps-utopique du voyage émotionnel évoluant et se renouvelant en tant qu'espace-rituel-utopique. La dernière œuvre du parc monumental de Fiumara d'Arte, 38ème parallèle - Pyramide (2010), réalisée par Mauro Staccioli (Volterra 1937), symbole de l'illumination des consciences bâtie au haute d'une montagne, à inauguré des pratiques rituelles, les rites des solstices d'hiver et d'été, caractérisant le voyage émotionnel en tant qu'opération cathartique de purification. La Pyramide, symbole de la conscience silencieuse de notre société contemporaine, a été conçue pour restituer à cette dernière une valeur d'engagement et de changement à appréhender par la lumière dans laquelle rallier sa valeur d'être. L'espace artistique devient ainsi cet espace-rituel-utopique autour duquel organiser chaque année un rituel collectif d'un voyage de purification, composant la révélation progressive de la beauté impliquant une participation des corps et un engagement de la personne. La catharsis esthétique est réglée sur le temps du kaïros (Gilonne, 2006), avec sa dimension spatio-temporelle comme intersection de l'espace et du temps où vont se croiser temps horizontal et vertical, pour se purifier dans le voyage entretenant un dialogue spirituel avec l'espace artistique par l'expérience esthétique des œuvres atteignant au transcendant.

    Le rite de la lumière se veut un parcours pour relier les consciences, une voie pour engager le futur de la communauté dans la valeur de la connaissance, la valeur de la beauté et de la différence, pour confier avec l'œuvre d'art la valeur de la spiritualité. Le voyage de purification dans la couleur de la lumière et de la pureté intérieure, accueille le rite pour restituer conscience et sensibilité, sens et altérité. Les espaces urbains transposés en espaces-rituels-utopiques voués à l'éthique de la beauté, affirmant par les émotions partagées une éthique de l'esthétique (Maffesoli, 1990) dans la jouissance des œuvres d'art, témoignent de l'engagement de la Fondation Fiumara d'Arte. La réalisation de la Porte de la Beauté [4], réalisé avec la participation et la collaboration des mères et des enfants de Librino, quartier périphérique dégradé de la ville de Catania, encourage une réponse esthétique de la communauté nourrissant le désir d'un futur au nom de l'utopie. Le sens de l’espace artistique urbaine est ici celui de manifester la création comme ouverture sur un autre monde possible, et les célébrations du rite de la lumière sont censés illuminer les consciences dans les lieux du néant pour fixer des lieux de jouissance collective. Ritualiser la rencontre et le partage des émotions avec la participation aux rites de la lumières, dans le but de restituer à notre contemporanéité la valeur de la beauté, la présence et le témoignage dans un autre monde possible par le biais d'un processus maïeutique, établit cet espace-rituel-utopique lui confiant l'espoir d'une spiritualité partagée entre les artistes, les poètes et le public.

    La puissance du récit utopique : le mécénat charismatique devient pluriel

    Labyrinthe d'Ariane (1990), Italo Lanfredini (Sabbioneta 1948), Parc d'œuvres monumentales Fiumara d'Arte : un parcours à spirale, physique et intérieur, pourvoyant la valeur de la connaissance et de la paix (source : Fondation Fiumara d'Arte).

    Le troisième marqueur que nous allons considérer, celui de la toute puissance du narrateur, le maître du récit autour du voyage dans la terre de l'utopie, n'est pas ici le seul maître du jeu : l'utopie ancrée dans la praxis se fonde dans collectivité par la parole des artistes et des citoyens, les comités et les associations. La dévotion à la beauté en tant que force immanente qui doit révéler la communauté à elle-même pour qu'elle fasse lien, est le cœur du discours du narrateur-mécénat présidant aux projets et aux activités de la Fondation Fiumara d'Arte.

    « Je sens d'avoir l'innocence et la folie pouvant mettre en marche un mécanisme de révolution ... depuis la Sicile nous allons affirmer la valeur de l'être et avec le choix éthique de la dévotion à la beauté ... et la faire devenir une réalité par la force de la foi et de la discipline, bouleversant ainsi le pouvoir du système par la valeur du faire en faisant devenir l'utopie un modèle de vie concret et d'action. L'utopie ce n'est pas ce que l'on ne peut pas réaliser, elle est ce que le système ne veut pas que l'on réalise ... et si le système veut à présent tuer les rêves niant notre futur, il faut rallier les cordes du futur et remettre aux jeunes la valeur du rêve, puisque quand ont est jeunes il faut rêver et le système ne veut plus nous faire rêver. Nous luttons contre ce néant pour recodifier le vrai sens de la vie qui est le futur, ce futur que nous ne devons pas nier à nos enfants». (Antonio Presti, Président Fondation Fiumara d'Arte)

    Le choix de vie d'Antonio Presti, destinant son patrimoine personnel à l'art et à la culture, se soustrayant au début des années quatre vingt, en tant qu'entrepreneur d'appâts publics, aux logiques politiques et mafieuses liées, à un système de corruption et concussion, à été celui un choix éthique au sein d'une Sicile tourmentée sur le plan de la justice et de la légalité. En donnant les œuvres du Parc Fiumara d'Arte à la communauté, à subi des procès depuis vingt ans et la solitude civile avant de faire reconnaitre le Parc d'œuvres monumentales en tant que patrimoine artistique de la région Sicilia. Cette figure charismatique en lutte avec la culture politique et les administrateurs publics, pour réaliser des projets culturels et de démocratie participée, sollicite un processus utopique collectif, le mécénat-utopique devient pluriel disloquant la toute puissance du narrateur du récit utopique dans les discours et les pratiques d'une communauté réuni autour d'une nouvelle éthique de l'esthétique.

    Nous retrouvons ici la transformation des récits articulés par Lucien Sfez dans le passage des utopies classiques aux utopies contemporaines, les unes situées en dehors du temps, les autres situés dans une temporalité devenue opératrice de réalité. Cette utopie qui devient plurielle relève du temps u-chronique, opposé à la linéarité du temps chronique des utopies classiques avec des mondes possibles projetées dans le futur (Hudde, Kuon, 1988), et c'est par cette inversion que le récit utopique ancré dans la praxis nous fait ici miroiter la possibilité du voyage émotionnel par la beauté et la spiritualité à l'origine des valeurs de l'âme. Un voyage de suggestions et images organisé par l'espace artistique, un voyage dans la couleur de la lumière et la pureté intérieure en contraposition aux valeurs du néant de l'existence quotidienne. Dans l'espace artistique, dans l'œuvre close en soi qui pourtant baigne dans le plein courant de la vie (Simmel, 2007, p. 87), la mise en jeu du voyage émotionnel, les émotions partagées, le triomphe de la lumière, de la connaissance et de la transcendance pour choisir la valeur de la beauté universelle, attribue aux pratiques rituelles des solstices d'hiver et d'été un rôle narratif et une fonction symbolique utopique et u-chronique.

    L'utopie de la création artistique : pratique de transcendance entre institué et instituant

    Une Courbe jetée derrière les épaules du Temps (1990), Paolo Schiavocampo (Palermo 1924), Parc d'œuvres monumentales Fiumara d'Arte : l'œuvre, colloquée en pleine campagne à la croisée d'une ancienne voie et d'une nouvelle route, reproduit en vertical les contours du chemin balayés par le vent silencieux de la mer reliant le passé et le futur (source : Fondation Fiumara d'Arte).

    Une dernière réflexion sur la pratique artistique nous permet de repenser la relation entre technè et poïésis, l'art en tant que savoir faire et la création artistique, pour saisir la réalisation des œuvres d'art ancrée dans la poïésis moyennant la transformation d'éléments préexistants par le savoir des artistes devenant création d'autres possibles. Le terme technè, avec sa signification de production ou fabrication matérielle, révèle sa signification de savoir-faire adéquat et efficace, occultant le concept de poïésis en tant que création. La technè, en tant que déploiement de la rationalité, signification dominante de l'auto-engendrement de l'homme par la domination et la maîtrise de la nature, n'est pas simplement de la praxis pour la production ou la fabrication du matériel. Sa signification d'actualisation non naturelle d'un possible, c'est le faire humain créateur accomplissant par la technè ce que la nature n'est pas en mesure d'accomplir. La création artistique en tant que pratique de transcendance est subséquemment tension entre l'institué et l'instituant (Castoriadis, 1975).

    Nous allons ainsi concevoir le dernier marqueur repéré par Lucien Sfez relatif à l'imaginaire technique ou social, investi d'un pouvoir surnaturel qu'entraine la transformation immédiate instaurant un monde à son image. La création d'espaces artistiques en tant que vecteurs privilégiés de pratiques rituelles élevant l'œuvre à la question du sens et de l'interprétation (Blais, 2006), éclaircit la vocation de l'artiste et son engagement culturel et moral ainsi que la vocation des œuvres d'art visant à l'éducation par la beauté. Destinant l'espace artistique à une nouvelle éthique de l'esthétique vécue par l'expérience des rites de la lumière, la relation à l'œuvre d'art en tant que quête inépuisable et source de révélation (Fagnart, 2000, p. 103) remet en discussion cet imaginaire technique ancré dans la volonté humaine de se représenter séparé de la nature (Guilbert, p. 9). L'utopie de la création artistique accomplit une épiphanie de la vie sociale, se différenciant du rapport d'exclusion-inclusion fondé sur une vision prométhéennes du devenir humain, joué dans la mise en scène du monde technique occidental de la modernité. L'espace artistique, réenchantant par les valeurs symboliques à partager entre le mécénat et l'artiste, le public et la communauté, soutient un autre rapport existentiel au monde et par cet espace-rituel-utopique, l'expérience du rite de la lumière, opère un virage spirituel et donne à vivre du sens (Jeffrey, 2003).

    L'accomplissement de l'utopie défini par la création artistique est la réparation et le rétablissement de la valeur spirituelle détruite par la contemporanéité, restituant la valeur éthique de la vie à la communauté et particulièrement aux jeunes générations. Le rapport symbolique et existentiel au monde est réenchanté par l'expérience du voyage émotionnel dans l'espace artistique, restituant par le code de la beauté le sens du futur et rétablissant par le partage des émotions l'écoute d'une spiritualité perdue, pour éduquer et semer des consciences rénovées.

    Documents audiovisuels

    - Rencontre avec Antonio Presti, 2001, vidéo, 11 :56 min
    https://youtu.be/qMxg26QXsjc
    - Anita Sief (réal.), Antonio Presti : son utopie, 2002, vidéo, 09 :15 min
    https://youtu.be/NJubbMwQdyU
    - FAI Fondo Ambiente Italiano (réal.), Fiumara d'Arte, 2010, vidéo, 04 :02 min
    https://youtu.be/eAN_j3XdlGA
    Fiumara d'Arte – la pyramide 38° parallèle, 2010, vidéo, 02 :24 min
    https://youtu.be/ethxreqKhgE
    - BlogSicilia (réal.), Le rite de la lumière à la Pyramide de Motta d'Affermo, 2011, vidéo, 04 :28 min
    https://youtu.be/AtnWiv586hM
    - Antenna Sicilia (réal.), La Fondation d'Antonio Presti : Fiumara d'Arte inaugure la Porte de la Beauté, 2011, vidéo, 01 :58 min
    https://youtu.be/GQ4722CJhtY
    - Raimed Magazine (réal.), Le rite de la lumière - Fondation Antonio Presti Fiumara d'Arte, 2011, vidéo, 03 :50 min
    https://youtu.be/6gtjkyUQOxs
    - Telecolor International T.C.I. (réal.), Entretien avec Antonio Presti Président de Fiumara d'Arte, 2012, vidéo, 13 :39 min
    https://youtu.be/_3ygk-0IFyM
    - Telesiciliacolor - Rete 8 (réal.), Spécial sur Antonio Presti et Fiumara d'Arte, Première partie, 2012, vidéo, 09 :49 min
    https://youtu.be/qEjtvCKMKTA
    - Telesiciliacolor - Rete 8 (réal.), Spécial sur Antonio Presti et Fiumara d'Arte, Deuxième partie, 2012, vidéo, 08 :44 min
    https://youtu.be/9_SiDl_Ov7M
    - Telesiciliacolor - Rete 8 (réal.), Spécial sur Antonio Presti et Fiumara d'Arte, Troisième partie, 2012, vidéo, 09 :38 min
    https://youtu.be/K2k3dQmT_rA
    - Onda Tv (réal.), Le rite de la lumière - solstice d'hiver, Première partie, 2012, vidéo, 14 :40 min
    https://youtu.be/5b6H5I5nd-4
    - Sesta Rete (réal.), Première partie, 2013, vidéo, 22 :15 min
    https://www.youtube.com/watch?v=1Pp3toB5VZw
    - Sesta Rete (réal.), Deuxième partie, 2013, vidéo, 20 :54 min
    https://www.youtube.com/watch?v=OQI24tSnz2s

    Sitographie

    www.librino.org
    Site web illustrant les activités de l'association Fiumara d'Arte orientée à la valorisation culturelle et artistique de Librino, quartier périphérique dégradé de la ville de Catania.

    www.ateliersulmare.com
    Art Hotel - Atelier sur mer, musée d'art contemporaine (Castel di Tusa -Messina). Le site web présente les chambres et les artistes engagés dans le travail de réalisation des chambres d'art, ainsi que les œuvres monumentales du Parc Fiumara d'Arte.

    Bibliographie

    Georges Bertin, La Pierre et le Graal : une expérience de quête initiatique, Paris, éditions Vega, 2006.
    Georges Bertin, De la Quête du Graal au Nouvel Age : initiation et chevalerie, Paris, éditions Vega, 2010.
    René Blais, « Du sens comme point de départ et de dépassement de la réflexion sur la technique » in Luc Vignault René Blais (dir.), Culture et technoscience : des enjeux du sens à la culture : approche d'une logique multidisciplinaire, Québec Les Presses de l'Université de Laval, 2006, pp. 21-44.
    Cornelius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Paris, éditions du Seuil, 1975-
    Paul-Augustin Deproost et Bernard Coulie (dir.), Utopie : imaginaires européens, Paris, L'Harmattan, 2002.
    Claire Fagnart « Faillite de l'utopie moderne » in Roberto Barbanti Claire Fagnart (dir.), L'art au XXe siècle et l'utopie : réflexions et expériences, Paris, L'Harmattan, 2000, pp. 99-120.
    Yves Gilonne, « La figure du kairos ou l’instant critique dans L’Instant de la mort » in L’épreuve du temps chez Maurice Blanchot, Paris, Les éditions complicités, 2006.
    Daniel Guilbert, Réalisme et architecture, Bruxelles, éditions Margada, 1987.
    Denis Jeffreys, éloge des rituels, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2003.
    Hinrich Hudde, Peter Kuon, « Utopie - Uchronie - et après : une reconsidération de l'utopie des Lumières » in Tubingen Gunter Narr Verlag, Heinrich Hudd Peter Kuon (dir.), De l'utopie à l'uchronie : formes, significations, fonction, Tubingen, Verlag, 1988, pp. 9-18.
    Théodore Litt, L'individu et la communauté, Lausanne, éditions L'Age d'Homme, 1991.
    Myriam Lemonchois, Pour une éducation esthétique : discernement e formation de la sensibilité, Paris, L'Harmattan, 2003.
    Michel Maffesoli, Au creux des apparences, Paris, Plon, 1990.
    Paul Rasse, « Utopies de la cité de la sagesse » in Araszkiewiez Jacques (dir.), L'héritage d'une Utopie : essai sur la communication et l'organisation de Sophia, Antipolis, Edisud, 2003.
    Friedrich Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, Paris, Floch, 1943.
    Lucien Sfez, La santé parfaite, Paris, Editions Le Seuil, 1995.
    Lucien Sfez, « Préface », Utopie I, La fabrique de l'Utopie, Quaderni, n. 40, 1999/2000, p. 5-10.
    Lucien Sfez, « Le réseau : du concept initial aux technologies de l'esprit contemporaines », in Daniel Parrochia (dir.), Penser les réseaux, Editions Champ Vallon, 2001
    Lucien Sfez « La crise du temps et l'utopie de la santé parfaite » in Paul Zawadzki (dir.), Malaise dans la temporalité, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.
    Georg Simmel, « Pont et Porte » in Georg Simmel, La Tragédie de la culture, Paris, Rivage, 1988.
    Georg Simmel, Esthétique sociologique, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2007.
    Gianni Vattimo, La société transparente, Paris, Desclée de Brouwer, 1990.
    Tudor Vianu, L'esthétique, Paris, L'Harmattan, 2001.

    Notes

    1] Antonio Presti : président de la Fondation Fiumara d'Arte, né à Messina en 1957, a constitué l'association culturelle Fiumara d'Arte en 1982. Après la mort du père quitte ses études d'ingénierie pour relever l'entreprise de famille à Castel di Tusa, spécialisée dans la production de matériel pour la construction de routes. Il a imaginé un parcours artistique, le Parc d'œuvres monumentales Fiumara d'Arte, symbolisant une continuité entra la vie et la mort pour préserver la mémoire de sa terre par le biais de l'art contemporaine.

    2] Art Hotel - Atelier sur mer (Castel di Tusa - Messina), musée d'art contemporaine. La réalisation de vingt chambres, parmi les quarante de l'Atelier sur mer, a été confiée à des artistes de niveau international :
    La Bouche de la Vérité (1990), Mario Ceroli (Castelfrentano 1938) ;
    Le Nid (1990), Paolo Icaro (Torino 1936) ;
    Mystère pour la Lune (1991), Hidetoshi Nagasawa (1940 Tonei) ;
    Ligne d'Ombre (1992), Michele Canzoneri (Palermo 1944) ;
    énergie (1992), Maurizio Mochetti (Roma 1940) ;
    La Chambre de la Mer Niée (1992), Fabrizio Plessi (Reggio Emilia 1940) ;
    Sur une Barque en Papier je m'Embarque (1993), Maria Lai (Ulassai 1919) ;
    Trinacria (1993), Mauro Staccioli (Volterra 1937) ;
    La Tour de Sigismondo (1993), Raúl Ruiz (Puerto Montt 1941 - Parigi 2011) ;
    Rêves parmi les Signes (1994), Agostino Ferrari (Milano 1938) Renato Curcio (Monterotondo 1941) ;
    La Chambre du Prophète - Hommage d'Antonio Presti à Pier Paolo Pasolini (1995) ;
    La Chambre de la Peinture (1996), Piero Dorazio (Roma 1927 - Perugia 2005) Graziano Marini (Todi 1957) ;
    Terre et Feu (1996), Luigi Mainolfi (Rotondi Valle Caudina 1948) ;
    Porteurs d'Eau (2006), Antonio Presti (Messina 1957) Agnese Purgatorio (Bari 1964) Danielle Mitterand (Verdun 1924 -Parigi 2011) Cristina Bertelli (-) ;
    Lunaria - Quartier sans nom (2007), Vincenzo Consolo (Sant'Agata di Militello 1933 - Milano 2012) Ute Pika (Francfort 1957) Umberto Leone (Castelvetrano 1961) ;
    Hammam (2007), Sislej Xhafa (Peje 1970) ;
    Double rêve (2009), Tobia Ercolino (-) ;
    La Chambre de l'Opra (2010), Mimmo Cuticchio (Gela 1948) ;
    La Chambre de la Lumière (2011), Gian Luigi Maria dei conti di Francavilla - Pepi Morgia (Genova 1950 - Genova 2011).

    3] Sur le territoire de Fiumara, ancien lit d'un fleuve de Tusa (Messina), s'étend le Parc d'œuvres monumentales de Fiumara d'Arte, un musée à ciel ouvert composé de dix œuvres :
    La matière pouvait ne pas y être (1986), Pietro Consagra (Mazara del Vallo 1920 - Milano 2005) ;
    Monument pour un Poète Mort (1989), Tano Festa (Roma 1938 - Roma 1988) ;
    Chambre de Barque d'Or (1989), Hidetoshi Nagasawa (1940 Tonei) ;
    Labyrinthe d'Ariane (1990), Italo Lanfredini (Sabbioneta 1948) ;
    énergie Méditerranéenne (1990), Antonio Di Palma (Williams Lake 1963) ;
    Une Courbe jetée derrière les épaules du Temps (1990), Paolo Schiavocampo (Palermo 1924) ;
    Arethusa (1990), Piero Dorazio (Roma 1927 - Perugia 2005) Graziano Marini (Todi 1957) ;
    Le mur de la vie (1991), AA.VV. (Gianbattista Ambrosini, Attilio Antibo, Matilde Anversa, Federico Bonaldi, Giulio Busti, Carlos Carlè, Andrea Caruso, Nino Caruso, Yvonne Ekman, Angel Garrazza, Christa Gebhardt, Johannes Gebhardt, Nedda Guidi, Jacò, Livia Livi, Giuseppe Lucietti, Graziano Marini, Alberto Mingotti, Riccardo Monachesi, Pompeo Pianezzola, Giancarlo Sciannella, Vito Vasta, Armanda Verdirame, Maria Villano) ;
    38ème parallèle - Pyramide (2010), Mauro Staccioli (Volterra 1937).

    4] La Porte de la Beauté (2009), œuvre en terre cuite réalisée après dix ans de travail, est le prélude d'un autre projet, "Troisième Œil Méridiens de Lumière", esquissant un musée à ciel ouvert dans le territoire de Librino, quartier périphérique dégradé de la ville de Catania. La Porte de la Beauté est composé par treize œuvres monumentales réalisées par des artistes de niveau international, 9.000 panneaux en terre cuite ont été appliqués sur cinq cent mètres le long d'un mur de trois kilomètres entrecroisant le quartier comme une blessure.



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