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Mitanalisi dell'insularità / A cura di Orazio Maria Valastro - Hervé Fischer / Vol.17 N.1 2019

Insularité : éthique d’une cognition synesthésique

Bernard Troude

bernard.troude@gmail.com

Chercheur en neurosciences et sciences cognitives - Chercheur en sciences des fins de vie (inscrit à “Espace éthique Île-de-France” Université Paris-Sud) - Laboratoire LEM: Laboratoire d’Éthique Médicale et de Médecine légale: EA 4569 Descartes Paris V. Chercheur en sociologie compréhensive - C E A Q: Centre d’étude sur l’Actuel et le Quotidien (UFR Sciences Sociales) Descartes Paris V. Professeur en sciences de l'art (Tunisie & Maroc). Professeur en sciences du Design et Esthétique industrielle.


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Noemi Gorgone - L'insularità attraverso le immagini - Liceo Artistico Statale Emilio Greco, Catania - Quarta edizione Thrinakìa, premio internazionale di scritture autobiografiche, biografiche e poetiche, dedicate alla Sicilia

«  Une île, / Entre le ciel et l’eau, / Une île sans hommes ni bateaux, / … , / Une île, Cette île, / Mon île, c’est toi » (Serge Lama)[1].

 

En quelques mots, voilà un poème chanté qui répond à toutes nos questions. Questions qui font barrage à toute envie de s’évader malgré les horizons géographiques, malgré les distances et les contradictions amoureuses, malgré des déterminations personnelles et des conjectures d’appartenance à un être, territoire fermé. Questions qui ouvrent quand même une possibilité de résonnance avec une vie espérée. Il s’agit bien d’une éthique d’être dans l’île, pour l’île et d’être soi-même une île.

 

Je ne veux pas disserter sur ce seul écrit où tant de choses seraient à dire. Vous êtes insulaire par nature et de naissance et tout de suite vos limites géographiques et vos limites synesthésiques sont bornées à la périphérie de l’île et aux horizons perçus depuis les côtes ou depuis le point le plus haut de l’île. Une personne « continentale » va s’intégrer à l’île pourtant ne prendra jamais l’option de voir sa géographie se limiter à la périphérie de l’île car le continent est toujours loin en face. L’insularité de la première donnera une primauté à l‘ensemble de l’île sans aller chercher une affection continentale. Dans certains domaines, tant physiologiques que psychologiques, d’autres sources sont utilisées représentant les connaissances de la détermination personnelle. Il ne faut pas s’en étonner. L’opinion, un rien dérisoire, se fournit constamment en informations relatives aux îles par le biais de résurgences diversifiées dont celles par la presse, l’audiovisuel, les affiches, les technologies de l’information les plus novatrices et initiatrices. Dans une recherche portant sur la connaissance scientifique, ces discours et images sont un pôle d’approche de recherches dans une opposition au spectacle du monde où la nature d’un savoir psychologique, neurologique, est mise en perspective. Toute personne insulaire (née là sur l’île ou famille implantée, famille impliquée dans l’île etc.) pourra être ‘‘happée’’ par des horizons lointains en vue de s’installer quel qu’en soit le motif réel ou celui imaginé ou pour des raisons matérielles plus que celles psychologiques : je veux parler des plaisirs devinés ou recherchés gardant au milieu de l’espace neuronal l'image d’un retour toujours possible.

 

«  … Revenir, / Mes amis, mon amour, / Être seulement de retour / Et rouvrir la maison / Et planter d'autres arbres.… » (Jean-Loup Dabadie)[2].

 

« S’évader » est le premier terme d’un concept neurologique ayant une vocation au changement, une excitation récréative voire éducative. C’est d’ailleurs en ces orientations symboliques que Jules Vernes aura écrit tous ses romans d’aventure dont la fameuse « Île mystérieuse »[3] en complétant ses mobiles et ses raisonnements par l’ambition de fournir des  sensations de vérités sur des faits avérés tant pour les géographies des lieux que pour leur valeur éducative et la valeur émotionnelle. Tous les iliens dans leur appropriation d’une terre au milieu des eaux s’attribuent les espaces en apportant des noms spécifiques à ces lieux sur terre : le visible, sous l’eau : l’invisible et dans les cieux leur imaginaire. La constatation fréquemment tangible et authentique est que ces territoires sont empreints d’une religiosité très affirmée et très persistante comportant des éléments de spiritualité fantasmatiques, transcendantaux. Leurs esprits s’emmêlent de tous les mots résumant toutes leurs connaissances, regroupant leur éducation diverse et variée (géographiques, géologiques, physiques, astronomiques, amassées par la science moderne) et y amalgamant quelques éléments d’anticipations sur leur devenir au loin et leur appartenance au territoire d’ancrage suggérant qu’ils ont considéré, après mûres réflexions, que tout cela repose sur un socle pratique. Leur idée ne représente cet élan que comme étant un aboutissement naturel d’une tendance contemporaine de leur pensée.

 

Tous les insulaires seront fascinés par les limites des terres au milieu des eaux et leurs regards, comportant un soupçon d’émerveillement, aux horizons lointains ne sont que des prémisses à un voyage concevable. Tous s’interrogent très concrètement sur l’Ici et l’Ailleurs, tenant compte des distances, élaborant des stratégies spatiales d’où cette question première : dans le temps qui vient, avec mon évolution spatio-temporelle, serai-je île ou continent ? L’insularité, état passionnel intime, permettra le chemin de retour vers l’île dès les premiers moments d’une pensée d’installation ou ré-installation pour durer dans un contexte social/familial puis dans le contexte social/travail. Cette dernière concordance doit nécessairement favoriser ce rapprochement parental entre un univers synesthésique particulier et la géométrie de l’île. Et, je peux affirmer que l’île en question interviendra subjectivement pour le retour vers elle peu importe ses coordonnées GPS sur notre terre. Ce qui importe ce sont les retrouvailles entre iliens : voilà une réponse à l’insularité.

 

Il s’agit aussi d’une résurgence de la notion de famille, du paternalisme, pour beaucoup d’un régionalisme insistant, d’une autorité verticale; sans perdre de vue que, dans certaines circonstances, le droit à professer des opinions contre un continent jugé colonialiste, annulé pour un temps sans oublier que, qu’elle qu’en puisse être la vivacité de certaines critiques, elle laisse intacts la loyauté et l’honneur de l’Homme. Il faut ajouter à cela le vivre-ensemble, regroupement nécessaire en un lieu commun (l’île) et ses avantages comme celui de connaître ses voisins, et la temporalité et l’espace temps entre départ et retour. Verticalité et Aventure. Cependant, le développement de toutes possibilités d’informations trop rapides et par trop répandues peut être considéré néfaste car noyant l’ensemble de la vie sociale. Ceci peut tout aussi bien relever d’une mystique sociale quant aux séries d’informations sans que pour autant je puisse porter un jugement de valeur.

 

Ne nous égarons pas : l’île ressemble à cette boîte dans laquelle le physicien Schrödinger en 1935 a enfermé un chat pour mettre en évidence des lacunes supposées et mettre en évidence le problème de la mesure en physique quantique. Il faut sortir de l’île pour en connaître toutes les mesures et indications géographiques et s’autoriser les superpositions essayant d’instituer la possibilité de deux états différents. Ici, l’ilien peut-il être à la fois insulaire et continental ? La combinaison de ces deux états est également un état possible dont l’observation provoque en revanche la réduction à un seul état. Un ilien peut se prévaloir des deux états et à la réflexion ne sera qu’un seul état d’insulaire[4]. «  … La clef de l'expérience est ici. Comme le chat est enfermé dans une boîte d'acier, il nous est impossible de savoir si, au bout d'une heure, il sera mort ou encore en vie. La seule manière de le savoir est d'ouvrir la boîte … »[5].

 

Pourtant, je me prends à confondre, au sens cognitif, cette société d’iliens en ces termes de perspective géographique, sociologique et ethnologique, voire anthropologique avec une espèce animale ou végétale en voie d’extinction : « Vous vous éteignez, baleines, comme de grosses lampes, et si vous n’êtes plus là pour nous éclairer, vous et les autres bêtes, croyez-vous que nous y verrons dans le noir ? ». Mario Ruspoli et Chris Marker ont fait apparaître cette phrase écrite pour leur film[6] dans lequel ils vont déterminer l’individualisme et les formulations d’indépendance des peuples vivant sur des îles.

 

Je reviens sur notre époque contemporaine très déterminée, individualiste dans les formulations d’indépendance, paroxysmique dans toutes les populations iliennes. Cette notion bien ancrée est l’aboutissement d’une culture des images et sa dissolution dans les ambiances sonores, les interférences médiatiques, les flux informatiques et écraniques. Les opinions se font d’une manière virtuelle très (trop) expéditive: on a entendu cela …, nous avons été informés de …  Les cognitions cérébrales ont enregistré les bribes d’informations vues, parlées, entendues etc. En somme, les autochtones comprennent, en tant que principaux intéressés, qu’ils doivent être respectés dans leur choix et, pour ce faire, une des premières constatations sera de préciser le degré d’information souhaité, informations que le concept d’insularité impose alors que les insulaires ne seraient pas toujours à même de les suspecter puis de les solliciter. En dépit de certains effacements dés le regroupement ou l’appartenance à un état/nation, l’insulaire connaît une continuité partagée avec les continentaux tant pour l’aspect nourricier ou les aspects de sécurité médicale, les facteurs de production et d’approvisionnement. Les Histoires de toute île, avant-hier, hier et aujourd’hui au long de conquêtes ou des rattachements indiquent que les tenants des actions autonomistes ont su fomenter des controverses à partir des productions et approvisionnements insuffisants ou encore ces mêmes éléments possédés par d’autres que les authentiques insulaires qui se trouvent en raisonnement dépossédés.  L’oubli d’état antérieur est le meilleur facteur de l’esprit d’insularité.

 

Il est des imaginations de représentation qui dispensent au travers des disponibilités d’esprit à recevoir l’information de société possible et faisant cohabiter des conflictualités de ces mêmes images des rivalités matérielles et formelles associées au savoir-vivre ou vouloir-vivre ensemble (cf : Michel Maffesoli); images mentales (anciennes, apprises, récurrentes que sais-je ?) avec lesquelles se dessinent les dites imaginations de ces iliens, imagination par l’image, imagination occupant les espaces synesthésiques et neuronaux. Que la vie courante, plus ou moins acceptée à cause d’une forme de colonisation, semble épuiser ou faire se dissoudre les préceptes des fondements de l’insularité n’efface en rien les traces indélébiles familiales, sociétales (ville, quartier, village) ou simplement une virtualité (numérique ou neuronale) bien souvent contradictoires : avec tout ce « matériel  pensé » l’image n’est plus la même, vouée qu’elle est à porter la disparition, expression d’un souvenir ou du devoir de mémoire.

 

Le jeune poète roumain, Benjamin Fondane (Lhermitte, 2015) en fait sa ligne de conduite. Toute mort (physique ou mentale) exige un retour, une renaissance se parant avec le temps de la patine superficielle qu’il est aisé de confondre avec le renouveau d’une idée, d’un concept général qui font dire qu’après s’être « ensanglanté les mains à tuer bien des choses : la culture, une certaine idée de l’homme », un insulaire peut exprimer sa position en parlant de son époque. C’est là que nous devons imaginer comment la nature de l’Humain possède une temporalité qui dépasse tout regard idéalisé : en fait, nous lui rendons visite (à notre hypersensibilité synesthésique) quand bon nous semble. C’est-à-dire quand les conditions cognitives conviennent et font poser un regard interrogateur dans ce contexte d’insularité pour tenter une caractérisation puis une catégorisation. Tout être à ce moment revisite ses rétentions primaires, issues de la primo-impression sensorielle tant synaptique que noétique, au sens de la mentalisation. Les images globales de cette insularité émanent des différentes couches de captation les transformant en rétentions secondaires conservées. Celles-ci sont distinctement dues à aux expériences et aux choix des regards singuliers qui auront précédé. Comment donc revenir sur ce côté « événementiel » de l’insularité en mettant de côté tous les aspects qui vont du tragique voire dangereux (pour l’être s’éloignant) les aspects sociaux et autant climatiques, géographiques que ces rétentions auront associés pour nos synesthésies et en nos psychologies ? Car il est indéniable que ces rétentions d’image sont intégrées dans les constructions mentales, comme un savoir trans-individué qui fait une société, un bien commun, donc une culture partagée.

 

Nous pourrions nous rapporter à deux références que voici :

- le rapport à soi-même (dans cette expérience de pensée sur l’insularité) avec le poisson volant, animal cherchant à sortir de son milieu pour chercher au-delà, tout au moins aux marges (après la surface - limite au regard) et tenter d’en tirer une vigueur. L’être humain cherchera sa trace, l’indice d’autre chose, d’une autre réalité qui sera toujours la même réalité (le réel étant un tout mais un nouveau modèle de réalité pour l’îlien qui est demandeur (protention) de bifurcation à un modèle insatisfaisant dorénavant (trouble, traumatype).

- Le rapport à la vision noétique (de toute science) appuyée sur la reproductibilité de toute expérience et la théorisation s’efforçant à remettre en doute au vu de nouvelles remises en question. En cela, rapprochons nous des textes de Walter Benjamin (1939) sur la reproductibilité des œuvres d’art et autres images.

 

La présentation de tous contextes sociaux, économiques associés aux écosystèmes mnésiques se voit ici complétée par ce panorama argumenté des différentes réflexions théoriques portées sur l’objet de cette intervention : la production d’image, la production d’une historicité de tout ce qui peut constituer une  famille (je précise « d’insulaires ») que ces groupes se connaissent ou pas mais se reconnaissent derrière un emblème, derrière une sémiotique, derrière des cognitions, même non évaluées mais communes. Mon hypothèse réside dans cette possibilité d’extraction d’une typologie des marqueurs de mémoire associées à la production des authentiques iliens puis dans une instrumentalisation reconnue de ces marqueurs dans le dispositif de reconnaissance de l’insularité ; vers une médiation de la mémoire collective des insulaires : c'est-à-dire la circulation des connaissances et des émotions liées à ces sociétés, portées par les écrits et les images, interprétées par les membres influents reconnus par le biais des agencements et/ou des méthodes.

 

Mais, les insulaires sont également plus que cela. Pour cela, mes propos vont analyser en s’attachant aux structures argumentatives. La complexité des discours et celle des objets relayent la vulgarisation des savoirs et font mener les  études bien au-delà d’une simple reconstitution de faits divers dans l’île en question. Pour n’être ni juge ni critique, la qualité des sources utilisées peut procurer un certain étonnement : le but reste prioritairement de dégager des questions pertinentes formulées par les cognitivistes, les géographes, les ethnologues, les sociologues. Tout en alléguant le jeu des influences transnationales, transdisciplinaires, il faut évoquer l’enjeu d’une réflexion sur l’appartenance et l’idée d’appartenance au groupe sur un territoire. Soulignons ici que ce mode d’acceptation peut varier et change suivant les époques, avec les résurgences possibles des idées sécessionnistes, indépendantistes plutôt autonomistes. Souvenons-nous de l’allégresse des corses quant à leur rattachement en ce mois de décembre 1789 dont voici le 1er paragraphe : « S'il fût jamais un évènement intéressant pour la Corse, c'est celui de son incorporation au vaste Empire des Français. Combien de siècles se sont écoulés, témoins de la longue oppression d'un Gouvernement tyrannique! (Note: c'est du Gouvernement Génois dont il est question). Que de sang a été versé pour alléger le poids des chaînes qui l'accabloient! Dès les premiers temps de la Monarchie Française, cette Isle a eu recours à sa puissance, a imploré et obtenu la protection et l'appui de ses Souverains. Mais toujours un cruel despotisme, une impérieuse Aristocratie exerçant leur pouvoir arbitraire empoisonnoient les bontés qu'elle en recevoit, et lui rappelloient que le plus grand des biens, la liberté, lui manquoient ». Pour la Sicile, l’histoire identique se révèle quant aux assauts des séparatistes contre Rome, les Bourbons et l’époque napoléonienne et ensuite italienne.

 

Où nous comprenons dès les premières lignes qu’il manque ce que tout insulaire réclame, encore maintenant et formant une idéologie politique : ne pas subir un pouvoir autoritaire qui envenime toutes les largesses et qui amoindrit toute liberté, annihile toutes valeurs identitaires. Pour toutes communautés d’insulaires de par le monde (régions Méditerranéennes, régions atlantiques, région pacifiques etc.) tous les peuples se réclamant par l’histoire à l’appartenance du bien commun qu’est leur île vont se soulever et faire apparaître cette autonomie qui leur manque. Autonomie présente dans leur cerveau dès les premiers instants de leur vie. L’idée d’insularité doit donc être comprise dans sa complexité propre, qui est corrélative mais pas exactement proportionnelle à la sophistication d’un quelconque discours !

 

L’île, pour les uns une entité incontournable et matériellement, est constitutive et pour d’autres un objet qui demande à être appréhendé avec tact ou mesure : une opposition géographique fondamentale est peut-être celle de la surface et de la profondeur. Quand il présente cette opposition dans son Miroir des idées, Michel Tournier (1996) note l’incohérence possible entre le profond et le bas, écartant l’idée entre l’abyssal et l’infamie. « Ce qui est au-dessous du niveau de la mer est sombre, mystérieux et menaçant ». Ainsi, cernée de puissances imaginées terribles, en rayonnant car les dominant, l’île haute ou même l’atoll vont être, sous le soleil, ordinairement attribuée d’une vérité d’une disposition supérieure, d’une clarté et d’une réalité transcendantes. Une telle impression est pur effet d’imagination, effet d’images soudaines et rétroactives, issue de la plasticité des cerveaux de ces iliens complètement inféodés à leur concept d’insularité là où ils sont.

 

Revenant sur l’idée de précipice comme déchéance ou comme éminence, Tournier renvoie deux postures à la confrontation directe : celle du scientifique qui rejette la fantasmagorie subjective au nom d’une réalité invariante à celle du phénoménologue qui rejette la méthode scientifique au nom d’une vie concrète réelle. Peut-on affirmer que ces deux postures seraient admissibles en ce qui concerne le sujet traité? Un antagonisme existe, ne pas s’empresser de prendre parti pour l’un ou contre l’autre ! Le Miroir des idées nous permet de faire un pas dans la conciliation, en considérant l’opposition de la différence et de l’analogie comme une opposition méthodologique fondamentale. Tournier cite en effet Hérault de Séchelles qui affirme que « Pour bien saisir les différences, il faut refroidir sa tête et ralentir le mouvement de sa pensée. Pour bien remarquer les analogies, il faut réchauffer sa tête et accélérer le mouvement de sa pensée ».

 

Complexités des cognitions. Les objets neuronaux complexes sont ceux qui ne peuvent être appréhendés qu’à partir de la fiction de différences et d’analogies, comme s’il fallait en même temps se calmer et ranimer le cerveau ! L’idée fondamentale s’oriente selon laquelle, pour appréhender tout discours scientifique dans ses conditions propres, nous n’avons d’autres moyens que de nous pencher sur le processus évolutif des hypothèses ; cette variation témoignant du fait que les différents chercheurs reconnaissent le caractère provisoire de certaines notions voire l’inadéquation d’une théorie au réel, tant comme ensemble de résultats que comme incarnation de la volonté de savoir. Je dis cela pour les problématiques de l’insularité qui ont une pertinence dans l’histoire des générations successives d’insulaires. Les chercheurs essaient de préciser les prépondérances  concernant les logiques intérieures d’un système neuronal, cognitiviste lorsqu’il s’agit d’une discipline sociale telle présentée par notre sujet. Dans les consignes de ces professionnels des études, quels rôles remplissent, alors, les références philosophiques et ne seraient-elles que de simples ornementations d’un texte ou de pures affectations quand les notions débattues sont de l’ordre du départ, du voyage idéalisé enfin du retour au même point : l’île?

 

Remarquons que dans une telle alternative, cela ne voudrait pas dire que les choix épistémologiques seraient inévitablement conditionnels, mais que des préférences convenues, concernant l’interprétation de faits ou la défense de valeurs, gouvernerait des options méthodologiques manifestes. Ce qui, notons-le encore, est vrai dans une certaine mesure de l’ensemble des discours scientifiques prévalant de se passer de cadre épistémologique et se présentant comme n’ayant besoin d’aucun soutien psychologique et se prétendant affranchis de toute influence idéologique. Préférant alors opérer une sorte de doute extrême pour baser l’étude sur des espaces mouvants, nous pouvons partir de l’hypothèse de travail qu’il existe des postures intellectuelles et des doctrines philosophiques pouvant séduire le géographe, sans qu’il en soit parfois tout à fait conscient. De quoi s’agit-il précisément dans le cas de l’étude géographique des îles ? Y a-t-il des constances idéologiques ou des courants de pensée porteurs de représentations très variables ?

 

Dialogue difficile mais pas impossible. L’épistémologie de la géographie des îles, finalement à quoi cela sert-il ? Sans doute n’y a-t-il à cette question ni réponse simple, ni réponse immédiate. En effet, il n’y a pas une et une seule façon d’entendre ce terme épistémologique. Les chercheurs produisent plusieurs types d’épistémologie, exprimant des sensibilités opposées (rationalistes, pragmatiques, phénoménologiques) dont on a tendance à étendre les divergences de but mais dont il faut simplement concevoir les désaccords théoriques. Les scientifiques, eux-mêmes peu ou prou épistémologues de leur discipline et de la science en général, ont plusieurs façons d’appréhender l’épistémè, d’assigner une fonction, d’adresser des jugements. Tous ne suivent pas les modes, tous ne se laissent pas séduire par les idées en vogue (celles dont l’arrière-plan idéologique n’apparaît pas ou apparaît très séduisant). Certains se rassurent quand ils accompagnent les orientations ordinaires validées par leurs confrères. Pour toute île, une confuse opinion constitue ainsi l’épistémologie implicite de quelques personnes géographes, anthropologues etc. Il apparaît que cela n’est guère moins unifié que l’épistémologie manifeste et authentifiée de celui qui professe un historicisme appuyé sur la « perspective qui considère que la réalité humaine est dans la relation entre monde extérieur et monde intérieur » (Monnet, 1999).

 

Voyage dans la synesthésie particulière, les mots exacts pour décrire et décrypter les intuitions fugitives se brouillent en des cerveaux captés par la représentation de l’île, par un tête-à-tête avec les phénoménologies de l’insularité. Attachons cela à l’éthique du nomade que nous pouvons retrouver depuis Homère et son Odyssée, passant par les récits en archipel de Rabelais où les îles apparaissent nommées comme lieux d’étape, lieu d’errance, lien entre des voyages. « Car l’insulaire est un Atlas, mais c’est aussi un récit, le récit par île, un genre à part entière, toute littérature ‘’de fictions en archipel’’ dont la segmentation narratrice s’associe à un ordre cartographique » (Lestringant, 1988). Toute survivance de l’insulaire sur son île et en voyage dans son esprit pose l’argument de savoir sur quelle épistémologie et quelles mutations s’effectuent cette tradition de l’écrit de l’insulaire-récit. Des prolongements ont augmenté cette liste de récits spécifiques pendant tout le XXème siècle dans les fictions d’auteurs tels que Henry Michaux, Jorge Luis Borges, de Italo Calvino ou Édouard Glissant. Peut-on dégager un invariant de l’ilien (né sur l’île) à mon entendement différent de l’insulaire (arrivé sur l’île) ? L’éthique de cette représentation parle avec des mots simples de l’occupation de l’île qui, comme pour le chat de Schdrödinger, il faut habiter l’île, terminant son isolement par une arrivée pour se rendre compte qu’elle n’est pas déserte, et l’occuper vraiment pour définir la « colonisation ». C’est le Soi qui va occuper l’espace géographique de l’île et rendre celle-ci définitivement occupée, ne serait-ce que pour un temps.

 

Pertinemment, me rapportant à Jaques Lacan, je précise que le Moi est une fonction, une synthèse, une synthèse des fonctions et une fonction de synthèse (Lacan, 1990, p. 418). Je fais entrer cette notion dans une pratique où l’insularité, sensation dominante, s’autorise de la supériorité des vrais îliens en sachant que cette autorité fait l’affaire de tous ceux et celles qui se fondent dans la périphérie de leur synesthésie, univers neuronal très fermé sans aucun moyen de pouvoir entrer ne serait-ce qu’en débat. Que ce débat non voulu vaille à ses partisans une vénération là où elle pourrait rendre service passe encore, mais le plus surprenant est qu’il confère dans des milieux dits éclairés un prestige d’avoir fait entrer (concevoir) l’esprit insulaire dans les lois de la psychologie ordinaire de tout être enfermé sur son île. Nous pourrions faire entrer dans ce débat, la notion de mobilité générale de l’insulaire dans la civilisation contemporaine mais devra s’accompagner d’une étude consacrée à la transformation de la notion d’insularité. Il sera légitime de concevoir celle-ci comme étroitement liée aux divers instants, figurations des images précises, valables dans la société. Une telle distinction suit celle qui est établie entre les trois niveaux de pensée dominante dans toute civilisation : pensée technique, pensée scientifique, pensée plastique. La plastique étant reliée à la phénoménologie des plasticités du cerveau de chacun, activités intentionnelles envahissant l’insularité dont les raisonnements imagés de l’aventure.

 

La plasticité neuronale apportant l’impulsion aurait à faire saisir le fantasme de l’aventurier, le désir d’une « course à travers le monde », de rattachements et de collisions avec une altérité fréquemment mystérieuse (cf : Jules Vernes), sorte d’immersion parmi les Êtres, les situations et les systèmes. Mais, l’option prend aussi le sens d’une mise à distance par la double médiation de l’exposé par le verbe, par l’écriture, et de l’insistance à diriger le regard et à livrer le constat des images depuis le lieu de leur mise en commun et de leur création. Ce lieu, à mes yeux, devient le point d'enracinement et une utopie de résidence, espérance d’installation. Cela, même si les précédents familiaux sont déjà des îliens. L’île de Robinson devient ainsi le modèle de territoire nourrissant les imaginaires utopiques qui vont transformer l’espace et la géographie entre ciel et eaux en un Eden d’origine, d’équilibre et de verticalité dans l’autonomie. Cet espace, je précise synesthésique, rend une vision heureuse du possédant le protégeant clos sur lui-même et du même coup au pouvoir d’investissement de tous les désirs. Il faut ici croiser la distinction opérée par Gaston Bachelard (1986) sur cette éthique de la parole dans sa poétique de l’espace. Les cognitions  font se placer les moments entre les espaces heureux ou topophilies et ceux hostiles ou topophobies. L’île devient la consécration s’opposant à l’immensité non-circonscrit se rapprochant du nomadisme entre mer et désert. L’île est souvent le sujet d’œuvre peinte ou écrite annonçant le pourquoi il faut l’habiter. À peine sera-t-elle vue, l’immédiateté annonce l’habitat et comment y parvenir ?  Les évocations ne manquent pas exposant, expliquant une géographie du regard face à l’île en représentation et une topique de cet espace romanesque. Soit un sol riche de récits possibles tels ceux découverts dans nos lectures tels que Robinson Crusoé de Defoe ou Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier. « Supprimer le temps, multiplier l’espace, voilà l’obscure métaphysique de l’industrie capitaliste » écrivait en 1933 Benjamin Fondane, dans un texte qui l’amenait à réfléchir sur les liens entre cinéma et moyens de transport contemporains, spécifiquement entre la voiture et l’avion. Mais le système écranique peut adhérer à une logique de la multiplication (reproduction) des espaces, il arrive qu’en soit renversé le principe en contrecarrant l’abandon de la temporalité. En fait, c’est ce dont nous nous apercevons dans ce sujet traité. Les images virtuelles ou cinétiques accompagnent les images synesthésiques, ménage à trois dans l’espace du cerveau humain, compliquant les données de l’insularité qui sont déjà bornées à la géographie.

 

Nous l’avons compris. En partie conclusive, je vous présente un aparté comme une digression à mes propos. Entendez la question : « Qui est Chris Marker ? », il faut répondre en citant ses films qui sont autant de parcours assumés par un voyageur immobile, plus souvent qu’autrement livré à la traversée des temps. Le sujet ne se déplace pas, c’est le voyage qui vient à lui. Le monde paraît lui arriver comme un bonheur qui survient au hasard. L’œuvre se rapproche d’ailleurs de l’autoportrait, œuvre dont Raymond Bellour (2002) disait qu’elle naissait du « désœuvrement et du retrait ».  Parmi les procédés les plus efficaces : l’arrêt sur image, rendu possible, en rétrospective, pour une nouvelle conscience du mouvement et du rythme (…) Car l’arrêt sur image représente le désir d’une ultime captation de l’instant, capture de la vitesse et de ce qu’elle dissimule : l’instant qui échappe, la seconde qui fuit et qui ne revient pas. Cette insularité au milieu du temps-mouvement. Et utilisant le paradoxe énoncé par André Gunthert en 2015 : « Personne ne s’attendait à ce qu’un gain de rapidité, au lieu de traduire plus fidèlement le mouvement, engendre un étrange suspens visuel. Chutes et sauts, corps maladroits » (Gunthert, 2015). Corps en images fluides comme tout insulaire hors de son île. Images d’insulaire dématérialisées parce que constantes, connectées et partagées dans nos univers contemporains d’île en île avec les nouvelles fonctions d’expression, de communication ou de socialisation comprenant les plis et les replis d’une autonomie indéfectible.

 

Une forme de colonisation d’ilien à ilien se fait en spiritualité, chacun confronté à sa solitude d’insulaire réfléchissant à sa propre situation, son être propre. Pouvons-nous dès lors parler d’une praxis : en spéculant sur leur biotope, l’ilien se transforme lui-même et prend conscience d’une identité, d’une liberté et produit du sens (moral, religieux, métaphysique). L’éthique verbale pour une éducation constitue une phase terminale de l’expérience de chacun puisqu’elle ressaisit tout ce que chacun aura appris et peut le transmettre à un Être qui sera à la fois le sauvage, l’ingénu, un double de soi-même. L’arrivée d’un autre ilien est instruite par une méditation comme tout fondé exemplaire ; cet événement étant de l’ordre du providentiel. Chez beaucoup d’auteurs sur le sujet de l’île, la question paraît différente. Les iliens font avec leurs voisins, famille d’iliens l’expérience cognitive du rapport « poétique » ; ce que Heidegger appelle dans son Hölderlin (l’habiter en poète) habiter vivre dictée par une pensée « réverbérante » alors que cela pourrait être habiter selon un  calcul qui est clairement la pensée initiale pour s’établir et surtout celle d’un retour en l’île, retour au monde de l’île, façon de valoriser un inutile apparent et d’apprécier les éléments environnants dans leur Être : regarder, comprendre l’île, écouter (végétation, animaux, humains). Appréhender (compréhension) du monde ilien à la fois festive et animiste, énergie dépensée sans but productiviste : joie de retrouver un chemin, joie de regarder au loin, joie d’être entre terre et ciel sur l’eau. Chacun, chacune entend faire franchir son univers, sa propre synesthésie pour la beauté d’un geste, la réception des couleurs, l’acceptation de l’autre sans aucune pensée ayant un dispositif technique, un artifice de mise en valeur dans une succession d’épreuves, de découvertes, de réalisations assez invariantes aboutissant à un double mouvement et un double résultat : chacun façonne son île et l’île (par l’insularité) façonne tout ilien.

 

En complément très bref, je vais utiliser, avec un texte différent, un concept émis par Paul Valéry dans son Robinson: « tout ilien finit par avoir fait son île et finit par se faire lui-même en sa cognition première par son île » (Valéry, 1962, p. 41). Existe un syndrome historico-culturel, que je ne vais pas nier ici dont j’ai parlé plus haut, concernant cette insularité : je veux être ilien (avec mon île) et l’État auquel nous sommes liés mais je veux être sans cet État qui nous surplombe et qui « rejette » le fait ilien. (Exemple: je veux être avec la France mais sans la France). Dans toutes les intentions cognitives, les mentalités iliennes sont devenues avec un temps d’histoire des frustrations sociétales. Le vouloir « diriger » d’un ilien de par sa contribution d’insulaire prouve que cela n’est pas une chimère mais souvent un orgueil très haut placé qui pousse bon nombre d’autochtones à en vouloir plus, toujours plus et du terroir si possible, du natif, du natal, en oubliant tout ce qui est appelé « décisionnaires applicateurs de l’État, maître des lieux ». Si, était accepté l’insularité un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, les utopies idéalistes transformeraient l’île en un terrain de jeu d’affrontements contenus, les iliens vivant en vase clos mais pas dans l’air d’une République indivisible, avec ou sans repaire transnational ni refrain de rassemblement à chanter. Alors, serait mis en place une forme de vigilance où le combat quotidien pour une liberté, une égalité, une fraternité (autre que celle avec l’insulaire), serait émis sans tomber dans un amour propre qui finalement ne le serait pas tant que cela. J’ai à terminer par une citation de Philippe Grimbert : « Ce que nous croyons découvrir, nous l’avions toujours su. On n’oublie rien, ni l’éclair de lassitude, ni le mot chuchoté derrière la cloison (…) C’est de cette part aveugle que nous dépendons, vivante, insistante, c’est elle qui a décidé de notre destinée » (Grimbert, 2011, p. 173).

 

L’insularité est cette part aveugle en nos cognitions qui maîtrise tout, tout le monde sur une terre entre ciel et eau.

 

Bibliographie

 

Gaston Bachelard, Poétique de l’espace, Paris, Presses Universitaires de France, 1986.

Raymond Bellour, L’Entre-images, N.elle Édition, Paris, Éditeur La Différence, coll. Les Essais, 2002.

Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité (1939), trad. Lionel Duvoy, Éditeur Poche, coll. Folio Essais Philosophie, 2008 / 2011.

Philippe Grimbert, Un garçon singulier, Paris, Éditeur Grasset, 2011.

André Gunthert, L’image partagée, La photo numérique, Paris, Éditions Textuel, coll. L’écriture photographique, 2015.

Jacques Lacan, Écrits 1, (1966/1970), Paris, Éditions du Seuil, coll. Essais, Poche, 1990.

Frank Lestringant, Les Insulaires en mouvement, Études rabelaisiennes, Genève, Éditions Librairie Droz, Actes du colloque International de Tours, 1988, URL consulté 12 / 02/ 2018 : books.google.fr.

Agnès Lhermitte, «Benjamin Fondane lecteur de G. Ribemont-Dessaignes», in Une bibliothèque vivante - Fondane et la Grande Guerre, Cahiers Benjamin Fondane, n. 18, 2015.

Jérôme Monnet, Interpréter et Aménager. Éléments d'une géographie de la relation au Monde, Volume 1, Présentation à la candidature HDR, 1999, Université de Toulouse-Le-Mirail. Présentation à la candidature HDR, 1999, Université de Toulouse-Le-Mirail : tel.archives-ouvertes.fr.

Michel Tournier, Le Miroir des idées, Paris, Éditions Gallimard, coll. Folio, 1996 (en anglais et en français).

Paul Valéry, Robinson, in Histoires brisées, Œuvres II, Paris, Éditions Gallimard, La Pléiade, 1962.

 

Notes

 

[1] Serge Lama, Une île, chanson écrite et mise en musique, Paris, extrait de l’album « À la vie, À l’amour », Label Mercury, 1989.

[2] Jean-Loup Dabadie, Partir Revenir, Poème, lu par Annie Girardot, chanté par Liliane Davis, sur une musique de Michel Legrand, Film de Claude Lelouch, 1982. URL consulté le 15/02/2018 : auclairdel-une.over-blog.com.

[3] Jules Vernes, L’Île mystérieuse, (1867/1919), n. 13 des 62 Voyages extraordinaires, Éditions Hetzel, publiés «Bibliothèque d’éducation et de récréation». Édition cartonnée de 1875 est au format in-8° 616 pages, illustrée de 154 dessins de Jules Férat et d’une carte.

[4] Erwin Schrödinger, Équation de Schrödinger, URL consulté le 15/02/2018 : fr.wikipedia.org.

[5] François Brooks, Expérience de pensée : Le chat de Schrödinger, URL consulté le 15/02/2018 :

www.philo5.com.

[6] Mario Ruspoli, Chris Marker, Vive la baleine, court métrage, produit par Argos en 1972, URL consulté le 15/02/2018 : www.unifrance.org.

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