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    Maria Immacolata Macioti - Orazio Maria Valastro (a cura di)

    M@gm@ vol.10 n.2 Maggio-Agosto 2012

    LA MÉMOIRE FAMILIALE ENTRE IMAGINAIRE ET RÉALITÉ


    Jérôme Moreno

    jerome.moreno@wanadoo.fr
    Docteur en Arts plastiques, enseignant ATER au sein du département Arts plastiques - Arts appliqués de l’Université de Toulouse II Le Mirail.


    Le souvenir par l’image

    La photographie symbolise l’objet le plus représentatif de la mémoire familiale basée sur la création et l’archivage du souvenir. Son importance dans cette stratégie de la mémoire réside dans sa facilité d’utilisation (son instantanéité), son caractère indiciel (sa fiabilité) et sa capacité à fixer la réalité (son souvenir).

    Tout d’abord, malgré les temps de pose assez longs dès le début de son invention, la photographie a su rapidement imposer sa présence au sein de la société et donc auprès des familles car elle possède une facilité certaine d’utilisation. Sa maniabilité et son faible coût encouragent son utilisation : le « clic photographique » permet une création instantanée de l’image et donc une construction rapide de la mémoire.

    Ensuite, l’importance et l’engouement pour la photographie dans la sphère familiale viennent du fait qu’elle est très souvent considérée comme une empreinte de lumière. Son caractère indiciel sert à établir une relation directe entre ce qui est photographié et l’image, plus exactement il n’y a pas de rupture entre ce que l’image montre et la réalité. Dans un certain sens, cette création de l’image exacte apparaît comme une sorte de miracle, de moment magique. En effet, « la photographie paraît faire fonction de ce que, dans le vocabulaire de la magie, on nomme une appartenance. Ce serait la meilleure appartenance, parce que fidèle, complète, littérale » [1].

    On peut ainsi comprendre la photographie comme une preuve irréfutable de l’existence des choses et des événements qui se sont déroulés devant l’objectif. De même puisque, « l’image, c’est le vivant de bonne qualité, vitaminé, inoxydable, enfin fiable. » [2], elle révèle et légitime une réalité grâce à l’image qu’elle produit.

    La photographie permet donc de manière spontanée et immédiate de constituer une trace valide d’un événement familial, elle dévoile ce qui s’est produit de manière objective puisque « dans l’écrasante majorité des cas, l’image photographique se borne à « montrer », et elle ne fait rien d’autre qui ne soit observable » [3]. C’est ainsi une empreinte fiable et immédiate qui montre la réalité des événements et permet de construire mécaniquement des images destinées à « prouver » l’existence d’une famille et surtout d’entretenir sa mémoire.

    Enfin la photographie est largement utilisée dans le cercle familial car elle est une empreinte permettant d’enregistrer pour la postérité une action fugace, un événement unique. Elle emprisonne par l’image l’instant qui est par nature éphémère. En effet, « ce que la photographie reproduit à l’infini n’a lieu qu’une seule fois : elle répète mécaniquement ce qui ne pourra jamais plus se répéter existentiellement » [4]. La photographie fige l’action, l’emprisonne au sein de l’image inanimée. Elle la délimite en la suspendant dans un temps fixe, qui ne s’écoule plus. En effet, « alors que tout est condamné à changer – à mourir dirons certains…-, la photographie imposerait un présent éternel » [5]. Il s’agit de capter l’instant grâce à l’image puisque « l’acte photographique ressemble à une opération de mémoration : l’opérateur réalise, à partir de la scène présente, une représentation durable » [6]. En fixant ainsi pour l’éternité la réalité, la photographie permet de lutter face à la fuite du temps, face à l’oubli. La photographie est donc le meilleur moyen de soutenir et d’alimenter la mémoire familiale puisque l’image qu’elle produit permet de maintenir durablement le souvenir d’une réalité avant tout éphémère.

    La naissance d’une nostalgie

    Les naissances, les baptêmes, les communions, les mariages et même les décès [7] sont systématiquement photographiés puisqu’ils font partis des moments éphémères mais néanmoins importants qui ponctuent la vie d’une famille. Ces clichés pieusement et précieusement conservés et archivés dans des albums de famille, permettent d’établir une généalogie mais aussi une chronologie, un récit des événements passés. Ils sont indispensables pour la postérité et la construction de la mémoire familiale. Ils font œuvre de mémoire puisqu’ils ont la capacité de faire ressurgir des traces du passé.

    Cela provient d’une particularité : « le processus photographique implique un rapport singulier au temps, et donc à la mort. La photographie inverse le cours du temps car elle projette le spectateur en arrière, dans le passé, annonçant une mort qui a déjà eu lieu et qui devient effective dès le moment où le regard se pose sur l’image » [8]. Un aspect mortifère se dégage en effet de toute photographie puisqu’elle peut être définie avant tout suivant le fameux « ça a été » de Roland Barthes [9].

    En ce sens, la photographie familiale ne peut affirmer qu’un terrible constat : les figures représentées sur l’image dévoilent de futurs ancêtres, l’esquisse d’une réalité passée, disparue. La photographie familiale devient une représentation symbolique paradoxale : destinée à lutter contre l’oubli et l’absence, elle présente et conserve le souvenir mais elle annonce en même temps une mort ou une prochaine disparition. Ce rapport à la mort induit indubitablement une certaine nostalgie.

    L’image d’une classe sociale

    Mais la photographie qui nous révèle la mémoire familiale ne doit pas uniquement s’entrevoir sous son aspect mortifère. Bien qu’elle dévoile sous nos yeux de futurs ancêtres et qu’elle développe un sentiment de nostalgie propre à tout souvenir, la photographie familiale est aussi une représentation sociale d’une famille. Elle n’est pas uniquement le témoignage de moments passés, elle ne montre pas uniquement des personnages familiers, elle dévoile leurs caractéristiques sociales. Si nous considérons le fait qu’« il est naturel que la photographie soit l’objet d’une lecture que l’on peut qualifier de sociologique et qu’elle ne soit jamais considérée en elle-même et pour elle-même, dans ses qualités techniques ou esthétiques » [10], alors nous pouvons admettre que la photographie de famille envoie des signes sociaux plus ou moins clairs, plus ou moins compréhensibles. L’étude de l’attitude des personnes photographiées, de leur environnement géographique, du cadre de la prise de vue, etc., permet de situer leur classe sociale d’appartenance.

    En ce sens, les portraits individuels établissent la place qu’occupe la personne représentée au sein de la société et les portraits de groupe établissent la place qu’occupe une famille au sein de la société. La photographie familiale tente ainsi de réaliser une mémoire qui passe par un statut social puisque « la photographie elle-même n’est rien, le plus souvent, que la reproduction de l’image que le groupe donne de son intégration » [11]. C’est pourquoi les personnages qui s’inscrivent sur une photographie familiale de groupe « prouvent » et « démontrent » leur situation sociale au sein de cette même famille. Il s’agit de légitimer une hiérarchisation de ses membres afin de maintenir ou créer une cohésion sociale et de souder un lien d’appartenance. Donc « les photographies de famille contribuent à donner le sentiment d’appartenir à un même ensemble » [12], elles cimentent un lien entre les personnes qui forment ce groupe intime qu’est la famille.

    Précisions que les photographies de famille se doivent d’être cohérentes. En effet, « les photographies familiales, en particulier, sont le support de l’histoire officielle de toute famille, la preuve objective de l’image que toute famille veut se donner d’elle-même » [13]. En ce sens, les photographies de famille doivent correspondre à l’impression générale que veut donner une famille. Il ne doit pas y avoir d’écart, de distorsion sémantique au sein de l’image ; celle-ci construit obligatoirement une mémoire désirée qui ne transcrit pas totalement la réalité. Les images doivent présenter correctement une famille, quitte à falsifier la réalité.

    Nous voyons bien ici que la photographie considérée comme processus social et mémoriel doit engendrer des images « correctes », propres à souligner un statut et la cohérence d’une famille.

    Les archétypes servent à construire des images correspondant à l’idée que nous nous faisons de la famille. Dans l’inconscient collectif la mémoire familiale doit être ponctuée de photographies traditionnelles de mariages, de baptêmes, de vacances, bref de « clichés » où le bonheur des personnes représentées s’affiche. La photographie de famille repousse le malheur afin de mieux afficher une cohésion sociale, une unité de groupe. En ce sens, elle ne laisse apparaitre que des stéréotypes qui ne sont perturbés par aucun élément subversif. Toutes les images considérées comme ratées puisque dévoilant une faille sont alors immanquablement écartées de tout album famille pour ne pas dénaturer la construction d’une mémoire familiale idéale. On montre, on dévoile ce que la morale approuve, ce que l’on veut transmettre comme signes sociaux, l’histoire que l’on veut donner à sa famille. La réalité devient partielle, tronquée. La mémoire familiale obéit donc à des codes de représentation qui délivrent une réalité masquée.

    Dépasser les clichés

    Cependant, certains artistes photographes tentent de déjouer les stéréotypes des images destinées à la mémoire familiale.

    Tout d’abord ils brisent l’intimité de leur propre histoire et plus largement de leur famille : elle passe de la sphère privée à la sphère publique. Les images destinées normalement à une utilisation restreinte au sein du cercle familial investissent les cimaises des musées et des galeries d’art. Cela ne va pas bien sur sans changements : l’image familiale normalement conservée dans un album est délibérément agrandie pour faciliter sa vision. De même, sa présentation, son support, éventuellement son cadre, sont fortement travaillés ce qui a pour conséquence de la faire évoluer : elle passe du statut d’objet domestique au statut d’œuvre d’art.

    Ensuite, ils rompent les codes de représentation de la photographie familiale en dévoilant des images ne correspondant pas aux « clichés » attendus.

    Pour cela, ils produisent des images non conformes aux idéaux familiaux d’une classe sociale. Au lieu de montrer des images où le bonheur domestique s’affiche normalement ostensiblement, ils dévoilent la face cachée de tout album de famille, la part maudite de la mémoire familiale.

    Chaque membre du cercle familial est ainsi montré tel qu’il est dans son intimité, c’est-à-dire sans poser. Les images prises sur le vif, dans l’instant, dévoilent alors des failles, des faiblesses. Elles traduisent un quotidien parfois cruel : la mémoire se construit sur une réalité révélée qui dépasse les clichés.

    Bien entendu, ces images révèlent aussi l’appartenance à une classe sociale, mais elles mettent surtout en scène l’identité particulière du photographe, elles manifestent son regard puisque « même lorsque aucun visage n’y est présent, toute photographie est encore habitée par la présence d’un autre. Toute photographie impose en effet un point de vue à la scène qui y est représentée » [14].

    C’est bien son regard que nous propose le photographe anglais Richard Billingham sur sa propre famille.

    Richard Billingham s’est fait connaître en 1997 lors d’une exposition intitulée Sensation organisée sous l’égide du collectionneur d’art contemporain Charles Saatchi en présentant des photographies de sa famille. Celles-ci illustrent parfaitement le travail effectué par des artistes photographes sur la mémoire familiale.

    En photographiant les membres de sa famille et en les exposant dans la sphère artistique, Richard Billingham n’a pas uniquement brisé leur intimité respective : il a également déjoué les codes propres à la photographie de famille.

    En effet, ses photographies n’illustrent pas l’image d’une famille traditionnelle mais montre les membres d’une famille en marge évoluant dans un univers quotidien sordide. Dans le décor crasseux et étouffant de l’appartement familial évolue un huit clos dont les protagonistes sont représentés par sa mère Lise, femme obèse et outrancière, recouverte de tatouages, son père Ray alcoolique et son frère Jason, jeune homme violent et drogué.

    L’ensemble des images forme un album de famille particulier [15] qui ne correspond pas aux archétypes de la famille idéale : elles ne montrent pas la normalité mais la réalité de la misère sociale.

    On voit bien ici que Richard Billingham propose une autre mémoire familiale marquée par le chaos, les ravages de l’alcool, la drogue et la violence. C’est une autre mémoire sociale qui se dégage : celle d’une classe sociale oubliée et marginalité. Illustrant le désespoir d’une ère post Thatcher, les membres de cette famille semblent cohabiter dans un appartement à la limite de l’insalubrité. L’espace familial n’est pas ici un refuge face aux agressions externes mais concrétise des tensions, des exaspérations profondes, un mal être collectif et individuel. L’appartement devient un environnement inhospitalier où l’œil du photographe dévoile les disputes de ses parents et la déchéance de son père à l’état d’ébriété constant. Il est le lieu d’une intimité, d’une réalité sociale dévoilée, qui n’est pas travestie, cachée ou falsifiée.

    Cette série de Richard Billingham montre que la destruction des archétypes de la photographie de famille permet de créer des images artistiques et de révéler autrement la mémoire familiale. Celle-ci n’est plus falsifiée et n’obéit plus à des codes : elle est brute, violente, sans concession, devenant le signe d’une réalité sociale cruelle et sans espoir.

    Imaginer la réalité

    La réalité violente des images de Richard Billingham ne doit pas faire oublier que l’imaginaire peut intervenir dans la mémoire familiale. Les artistes photographes peuvent se jouer de la qualité indiciel de la photographie afin d’enchanter l’image, de faire rêver le spectateur.

    Voyons en ce sens l’exemple de la photographe française Delphine Balley. En 2002, celle-ci entreprend une série photographique où elle met en scène son propre album de famille. À partir d’anecdotes, d’histoires liées à sa famille et à son village natal, Delphine Balley va construire de savantes mises en scènes où les membres de sa famille jouent souvent leur propre rôle. Avant chaque prise de vue, tout est méticuleusement choisi : le décor (souvent la maison familiale), les costumes, les accessoires. De même, tout est savamment travaillé comme la lumière, le cadrage, la position et les attitudes des acteurs/membres familiaux, etc. L’improvisation n’existe pas chez Delphine Balley, la notion d’instantanéité est reléguée au second plan.

    Les photographies de famille sont généralement maladroites puisqu’elles sont le résultat d’amateurs mais celles de Delphine Balley, photographe professionnelle résultent d’une maitrise technique parfaite et d’une volonté de contrôler et mettre en scène ce qui se passe devant l’objectif.

    Chaque photographie de cette série est construite sur une réalité familiale, un fait, une histoire particulière qui va intéresser la photographe et à partir de laquelle elle va construire une image où se déploie son imaginaire, sa fantasmagorie. Delphine Balley part en effet d’un récit particulier réel et familial qui va l’interpeller et à partir duquel elle va construire, imaginer une mise en scène s’écartant plus ou moins de l’histoire initiale. Il y a ainsi dans toutes ses photographies une part de vérité, une réalité qu’elle va prolonger grâce à son imaginaire, à sa vision de photographe. Elle imagine pour ainsi dire la réalité.

    Il en résulte des images où le drôle le dispute à l’étrange. Dans la banalité des pièces de la maison parentale qui fonctionne comme un archétype, se jouent des situations incongrues, des scènes surréalistes où les personnages, parents et amis font resurgir des histoires issues du quotidien. Leurs mises en scène permettent de construire une mémoire familiale tout à la fois réelle et fantasmée.

    Chaque photographie est donc toujours issue d’une anecdote réelle qui se prolonge dans l’image imaginée. Par exemple pour la photographie intitulée « Ma mère dans sa chambre », Delphine Balley s’est inspirée d’une situation réelle vécue quotidiennement par sa mère. Elle raconte à ce sujet : « Un jour j’invite ma mère à manger et je lui cuisine du poisson. Je m’excuse parce que je n’ai pas de citron. Elle me dit que ce n’est pas grave, qu’elle a l’habitude. Je lui demande pourquoi. Elle m’explique qu’à chaque fois qu’elle mange du poisson chez elle, elle oublie le citron qui est dans le frigo, et qu’une fois assise, elle a la flemme de se relever. Ma mère a de gros problèmes d’articulations. C’est pour cela qu’elle porte des attelles, et qu’elle s’économise tout le temps. Ce qui fait qu’elle ne mange jamais son poisson avec du citron (...). Cette histoire a été le point de départ de la photographie représentant ma mère, habillée d’une chemise de nuit et de ses attelles qu’elle porte pour dormir, en train de ramasser des citrons à ses pieds avec une sorte de pince à glaçons géante » [16]. Cette explication montre bien que le réel est attaché à chaque photographie. Delphine Balley précise à ce sujet : « je n’invente jamais rien. Mes photographies partent toujours d’une histoire vraie  » [17]. Cependant, chez elle l’imaginaire s’invite toujours dans le récit imagé. Ses photographies ne sont donc pas de simples illustrations, elles ne montrent pas un quotidien, elles dévoilent la part d’imaginaire, de grotesque, de funeste, de fantasque, de fantasme qui se cache dans le quotidien.

    La mémoire familiale chez Delphine Balley ne s’inscrit pas comme un dévoilement de l’intime normé et assujetti à des archétypes comme on en trouve habituellement dans les albums de familles. La photographie de sa mère qui semble lutter pour ramasser des citrons ne correspond pas à l’image que l’on se fait habituellement d’une mère de famille. L’image s’acharne ici à déjouer notre vision traditionnelle de la famille. La réalité et l’imaginaire déjouent les stéréotypes et forment des images artistiques : celles-ci permettent à Delphine Balley de construire la « réalité imaginaire » de sa mémoire familiale.

    Imiter sa mémoire

    L’artiste photographe Rafael Goldchain joue aussi sur le mélange entre la réalité et l’imaginaire afin de construire ou plutôt retrouver sa mémoire familiale.

    En 2007, il entreprend une série nommée « I am my family » [18]. Celle-ci est issue d’un constat : lors de la naissance de son fils, le photographe réalise qu’il manque à sa famille des images permettant d’illustrer son histoire et la mémoire de ses membres. L’absence de ces images provient du parcours particulier de la famille juive de Goldchain : originaire de Pologne celle-ci a du affronter les tourments de la Seconde Guerre Mondiale. Une partie de ses membres a ainsi subi l’extermination et l’exil ce qui a provoqué des manques, des pertes, des absences ne permettant pas d’établir une généalogie complète. Afin de retrouver et reconstruire la mémoire altérée de sa famille, Rafael Goldchain décide d’utiliser les codes et postures de la photographie familiale afin de recomposer, redonner image aux ancêtres familiaux.

    Sa volonté est bien d’imiter la réalité, de retrouver des visages disparus qui forment une identité familiale.

    Pour cela, le photographe va utiliser la technique du travestissement. Grace à l’emploi du maquillage, d’accessoires comme des perruques, des chapeaux, Rafael Goldchain va incarner des personnages sur le principe de l’autoportrait qui peuplent la mémoire familiale qu’ils soient masculins ou féminins. Il va ensuite poser face à l’objectif et former ainsi une image d’ancêtre : par l’attitude, par l’utilisation du noir et blanc, par un travail numérique effectué après la prise de vue, la photographie semble littéralement présenter les membres d’une même famille apte à construire une mémoire commune.

    Là encore, la réalité se mêle à l’imaginaire : Rafael Goldchain redonne figure à des membres familiaux, des oncles et des tantes ayant réellement existé, mais il invente aussi parfois des ancêtres. La photographie de part sa valeur indicielle est là afin de légitimer, prouver l’existence fictionnelle de ces êtres disparus. Cette série photographique joue sur la frontière de la réalité et de l’imaginaire. Elle tente de réactiver des souvenirs, de recomposer une histoire passée. Ainsi Rafael Goldchain semble travestir la réalité, l’imiter pour paradoxalement l’amplifier, l’exalter. Il redonne un sens et une existence à sa mémoire familiale.

    Conclusion

    Les travaux photographiques de Richard Billingham, de Delphine Balley et de Rafael Goldchain montrent que les artistes photographes exploitent volontiers le thème de la mémoire familiale. Cet engouement se traduit par une utilisation particulière de la photographie dite familiale.

    Chez Richard Billingham, elle participe à la représentation d’une réalité entièrement dévoilée. Les membres de sa famille ne posent pas, ne jouent pas au bonheur parfait, ils montrent entièrement la réalité de leurs fêlures. Les images de la famille de Richard Billingham brisent les archétypes, rendent compte d’une mémoire sociale particulière et marginalisée.

    Delphine Balley utilise elle aussi sa propre famille mais à l’inverse de Richard Billingham, elle fait poser les membres de sa famille. Grace à des mises en scènes soigneusement étudiées, elle repousse les archétypes de la photographie de famille. Les personnages familiaux ne sont plus consignés dans un rôle préétabli mais prennent place dans un récit inspiré d’anecdotes familiales où l’imaginaire entre en jeu.

    Goldchain s’attache aussi à développer une mémoire familiale particulière. Pour cela, il se travestit et mime des personnages familiaux fictifs ou non. Il reconstitue plus exactement la mémoire familiale qui a dû faire face à des pertes, des absences. L’imaginaire intervient ici afin de combler une réalité familiale disparue.

    Ainsi, les images produites par les artistes photographes acquièrent une certaine indépendance. Tout d’abord, les images ne sont plus destinées uniquement au cercle familial restreint mais sont largement montrées dans la sphère publique représentée par les musées et les galeries d’art. La mémoire familiale n’est plus tournée vers l’intime mais évolue alors dans le cadre de la mémoire collective.

    D’autre part, en agrandissant délibérément le format, en créant souvent un cadre, bref en sortant les photographies familiales de l’album de famille, les photographes les font passer du statut d’images insignifiantes d’amateurs au statut d’œuvres originales.

    Enfin, en brisant les codes de représentation et les archétypes de la photographie de famille, les artistes photographes ne dévoilent plus uniquement son aspect social, ils lui apportent une dimension esthétique, ils renouvellent son genre. Il en résulte une autre approche de la mémoire familiale : elle est désormais constituée d’images artistiques où la réalité se mêle à l’imaginaire.

    Notes

    1] R. Castel, « Images et fantasmes » in Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie, sous la direction de Bourdieu Pierre, Paris, Les Éditions de Minuit, 1965, p. 328.
    2] R. Debray, Vie et mort de l’image, Paris, Gallimard, 1992, p. 22.
    3] J. M. Schaeffer, L’image précaire, du dispositif photographique, Paris, Éditions du Seuil, 1987, p. 211.
    4] R. Barthes, La chambre claire, notes sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980, P. 15.
    5] S. Tisseron, Le mystère de la chambre Claire, photographie et inconscient, Paris, Flammarion, 1996, p. 65.
    6] D. Maux, La photographie et le temps, le déroulement temporel dans l’image photographique, Aix-en-Provence, Publications de L’université de Provence, 1997, P. 27.
    7] Dès son invention, la photographie a été utilisée afin de contribuer à la tradition du dernier portrait : avant que l’on n’enterre le défunt, son dernier portrait était créé en utilisant la technique du moulage ou bien la photographie. Cette tradition a perduré jusqu'au milieu du 20ième siècle. Pour plus de renseignements sur ce rite funéraire voir le catalogue de l’exposition : Le dernier portrait, Musée d’Orsay du 5 mars au 26 mai 2002, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 2002.
    8] V. Mauron et C. de Ribampierre, Le corps évanoui, les images subites, Paris, Hazan, 1999, p. 26.
    9] R. Barthes, op. cit., p. 120.
    10] P. Bourdieu, « Culte de l’unité et différences cultivées », in : Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie, sous la direction de P. Bourdieu, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963, p. 43.
    11] Ibid., p. 48.
    12] S. Tisseron, op. cit., p. 132.
    13] Ibid., p. 151-152.
    14] Ibid., p. 106.
    15] Celui-ci fera l’objet d’une publication : Richard Billingham, Ray’s laugh, Zurich, Scalo, 2000.
    16] Citation de l’artiste extraite d’un article de François Beaune paru sur le site internet : https://www.photosapiens.com
    17] Citation de l’artiste extraite d’un article de François Beaune paru sur le site internet : https://www.photosapiens.com
    18] Cette série a fait l’objet d’un ouvrage : Rafael Goldchain, I Am My Family, New York, Princeton Architectural Press, 2008.

    Bibliographie

    Barthes Roland, La chambre claire, notes sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980.
    Bourdieu Pierre (sous la direction de), Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1965.
    Debray Régis, Vie et mort de l’image, Paris, Gallimard, 1992.
    Schaeffer Jean-Marie, L’image précaire, du dispositif photographique, Paris, Éditions du Seuil, 1987.
    Maux Danièle, La photographie et le temps, le déroulement temporel dans l’image photographique, Aix-en-Provence, Publications de L’université de Provence, 1997.
    Mauron Véronique et Ribampierre Claire (de), Le corps évanoui, les images subites, Paris, Hazan, 1999.
    Tisseron Serge, Le mystère de la chambre Claire, photographie et inconscient, Paris, Flammarion, 1996.


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